Pourquoi pense-t-on que les Noirs ne se suicident pas ?

Le 10 Septembre est la journée internationale de prévention du suicide. Toutes les 40 secondes, quelqu’un dans le monde se tue. En Afrique, le tabou autour du suicide nous empêche de le prévenir et de reconnaître ses symptômes.

En partenariat avec Noire & Psy, Irawo s’engage à briser le tabou avec la campagne #AntiSuicideSquad. Dans cet article, Yann Tsobgni explique pourquoi le suicide n’est pas reconnu dans les communautés Noires.


Habituellement, on nous éduque en nous enseignant que nous ne nous appartenons pas. Nous sommes membres à part entière de toute une grande famille. Nous n’avons pas le droit de faire ce que nous voulons de notre vie. Il faut toujours penser aux répercussions que ça pourrait avoir sur la famille, la communauté. Le regard des autres est donc très important. L’honneur et le respect de toute la famille passe par le comportement de ses membres. Combien de fois n’a t-on pas entendu des paroles du genre :

  • Tu veux mettre la honte sur ta famille?
  • Les gens vont nous pointer du doigt
  • As-tu pensé à tes parents ?
  • Ne salis pas la famille s’il te plaît
  • Les gens vont dire quoi ?

Le suicide est perçu comme un acte de pur égoïsme

Présenté de cette façon, le suicide est forcément perçu comme un affront, un acte de pur égoïsme. Se donner la mort, c’est donc ignorer la souffrance qu’on va causer aux personnes qui nous aiment et qui tiennent à nous. C’est jeter l’opprobre sur toute la famille.

Les gens ne diront pas que X s’est suicidé, mais plutôt que le fils ou la fille d’Untel s’est suicidé. Que le mari ou la femme d’Untel a mis fin à ses jours. Donc quoi qu’on fasse, l’acte individuel aura toujours un impact collectif. Qui plus est, la vie est un don précieux qu’il faut respecter. On ne devrait pas la supprimer selon notre bon vouloir, car elle ne nous appartient pas.

On ne s’invite pas auprès de Dieu” nous a-t-on appris. Ce qui peut expliquer le rapport à la mort et au suicide, surtout quand ce dernier est forcément vu comme une volonté, une option parmi tant d’autres. Les personnes issues des communauté noires présentent donc des facteurs de protection qui les dissuadent de commettre des actes tels que le suicide. Autrement dit, elles sont censées avoir des ressources ( personnalité, éducation, influence sociale, croyances, support familial, religion) qui les préserve des passages à l’acte suicidaire.

Toutefois, cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas se suicider. La probabilité est juste beaucoup plus faible qu’ailleurs. Et au cas où les facteurs de protection diminuent ou changent, elles peuvent dès lors devenir potentiellement à risque.

Sans oublier la question du recensement et des statistiques. Vu que tous les morts par suicide ne sont pas forcément déclarés (peur du regard des autres), il est donc normal de penser que les Noirs ne se suicident pas. On n’en voit pas et on en entend rarement parler.

Or, comme le soulignait un lecteur récemment sur ma page, les Noirs se suicidaient déjà pendant la traite négrière, pour échapper aux chasseurs d’esclaves et pour éviter d’être vendus. Il existe donc différents contextes et différentes causes pouvant expliquer le geste suicidaire.

Quels sont les facteurs de risque du suicide ?

Déjà, faisons quelques définitions.

Les idées suicidaires sont des pensées, images ou croyances concernant le désir et la méthode pour mettre fin à ses jours. Une tentative de suicide est un comportement auto-infligé potentiellement dangereux, sans issue fatale, pour lequel il existe une preuve de l’intention de mourir. Le suicide est une mort auto-infligé avec évidence d’une intention de mourir.

Il existe quelques facteurs de risques du suicide, dont certains plus saillants que d’autres.

Facteurs primaires : Les troubles psychiatriques ( dépression, trouble bipolaire, schizophrénie, etc. ), les antécédents familiaux ou personnels de suicide, l’impulsivité, la communication d’intentions suicidaires, les addictions ( alcool, drogues )

Facteurs secondaires : La perte parentale précoce, l’isolement social, les difficultés financières, les maladies graves ou chroniques, les évènements de vie ( maltraitance, violences, inceste, abus; autres traumatismes, précarité, rupture difficile, manque d’amour, rejet, choc culturel et difficulté d’adaptation : solitude, racisme, discrimination, harcèlement moral, intimidation à l’école, secrets )

Facteurs tertiaires : le sexe, l’âge, la période de vulnérabilité.

Ces facteurs pris isolement ne constituent pas des risques en soi. Il faut une combinaison de plusieurs variables pour prédire le risque de suicide chez l’individu.

Pourquoi la personne en arrive à penser au suicide ?

Il faut savoir qu’une personne qui pense au suicide ou tente de se suicider ne veut pas mourir. Elle veut juste arrêter de souffrir. La douleur qu’elle ressent déborde les ressources d’adaptation habituelles. Elle n’arrive plus à gérer.

Les évènements deviennent insurmontables car les solutions habituellement utilisées sont inefficaces. La personne vit une situation extrême et de désorganisation. Elle se sent complètement perdue. Elle rompt ses liens avec ses attachements de base ( famille, culture, religion, amis, croyances ) et s’isole.

Son seuil de tolérance à la souffrance étant atteint, il lui est quasiment impossible de réfléchir en termes de solutions. La seule chose qui la préoccupe est de mettre « fin » à cette douleur devenue insupportable.

Comment prévenir le suicide ?

L'absence de statistiques et de recensement correct en Afrique et dans les communautés Noires fait croire que le suicide n'existe pas. Cliquez pour tweeter

Il est nécessaire déjà d’apprendre quels sont les signes et symptômes annonciateurs d’une crise suicidaire pour pouvoir secourir les personnes en danger et les orienter vers les ressources adaptées.

Ensuite, s’éduquer sur les facteurs de risques généraux et sur les facteurs de risque propres aux africains. Tous ceux qui se suicident ne le font pas pour les mêmes raisons. 

Il faut également apprendre à écouter, sans juger, accepter que ce que nous pouvons gérer, d’autres ne le peuvent pas. 

Ne pas pointer du doigt les personnes qui souffrent de dépression ou qui ont des idées suicidaires mais plutôt leur tendre la main et les aider à trouver des ressources disponibles afin de les accompagner avant qu’il ne soit trop tard. 

L’absence de statistiques et de recensement correct en Afrique et dans les communautés Noires fait croire que le suicide n’existe pas. Et pourtant, c’est une réalité. Nous devons en parler pour le combattre.

Yann Vivette TSOBGNI

Psychologue spécialisée dans l’approche culturelle et inter-culturelle de la santé mentale. Sa mission est démystifier les problèmes de santé mentale dans les communautés africaines. 


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