Allo les jeunes ?  Ici l’Afrique !

Par Naofal Ali.


Je suis béninois. Fier de l’être. Je porte à mon pays, à mon continent de l’amour, du respect. J’ai eu la chance de grandir au Bénin, d’apprendre le monde sur cette terre de valeurs, d’humanité, de sourires, d’optimisme. Tout n’y était pas parfait, loin s’en faut. Mais tout y était pour que je m’y sente parfaitement bien.

Voyez-vous, je souscris à l’idée que la considération que l’on porte aux choses en appelle la critique. Parce que mon pays, mon continent me tiennent à cœur, j’ai donc passé bien des moments à me demander comment en être digne. Quels sont les rôles, les grands enjeux de ma génération sur les défis africains?

Quels citoyens devons-nous être ? Nos grands-parents sont morts, nos parents ont fait leur œuvre. Et nous ? Non pas si, mais bien quand l’histoire devra nous raconter à nos enfants, que dira t-elle? Qu’aurions nous fait de mieux, réussi de plus que nos pères ? Quelle aura été notre contribution à l’histoire de nos pays, de l’Afrique, du monde ?

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Et si on commençait par le commencement ? Nous situer dans notre propre histoire.

Nous sommes les fruits d’une Histoire. Une Histoire dont le volet moderne s’est écrit sur le dernier siècle et a créé les conditions bonnes et mauvaises de nos vies contemporaines. Comprendre d’où nous venons me paraît essentiel pour savoir où nous allons. Voici donc le film de notre naissance.

Cette histoire moderne s’ouvrait avec nos arrières grands-parents. Ces braves qui ont lutté contre les envahisseurs, et payé de leurs vies le fait qu’aujourd’hui les pays d’Afrique puissent être libres, dignes. Ils nous ont fait le plus beau cadeau, le plus grand des sacrifices, la plus belle promesse d’avenir.

A leur suite, nos grands-parents ont obtenu les indépendances, et qu’en ont-ils fait ? Découvrir le pouvoir, essuyer les assauts néocolonialistes, goûter la démocratie, basculer dans le marxisme. Plus tard, revenir à la démocratie mais à leur sauce, effectuer quelques tentatives d’industrialisation sous la houlette d’un FMI vampire. Quand enfin, la mort ou les militaires finissaient par s’emparer de nos dirigeants, alors l’ardoise des dettes se faisait longue et lourde. On découvrait dans la honte que nos leaders nous avaient asservis, matés, pillés, exploités jusqu’au sang et ruinés par dessus le marché. Quand ces malheureux par malchance n’étaient pas détrônés, ils faisaient leur lit pour des décennies de domination sans partage. La présidence n’était alors plus une fonction mais un titre, à vie. Paul Biya, et Eyadema père t’en diront tant. Et tant qu’il il y a de la vie, aussi vieille ou branlante soit-elle, il y a du pouvoir. Du haut de ses 93 années, M comme Mugabe, du bas de sa chaise et de son regard vide B comme Bouteflika. Mais comme on dira, ils auront essayé. 

Ensuite, nos parents naquirent.

Eux ont été à l’Ecole française, ils sont la génération du franc CFA fort, puis dévalué. Ils sont instruits, ont fait des études. Ils ont appris à l’école de l’occupant, leur propre histoire, enseigné par celui-ci. Ils ont eu droit au conte de fée d’une époque qui avait son charme. Le contrat était simple. Réussir à l’école pour réussir dans la vie. Ils étaient dès le berceau formés à devenir des fonctionnaires, de bons citoyens obéissants, acritiques, et taiseux. Ils avaient hérité du « Tout est grâce », et du « c’est la volonté de Dieu » en formules magiques tout-terrain. Ils étaient peu créatifs, soumis, condamnés, dociles, transparents. Les rares qui ne l’étaient pas ont fini pendus, décapités, tués par la tyrannie folle des dirigeants, A comme Abacha, leur avidité perfide M comme Mobutu, ou la traitrise éhontée, C comme Compaoré. Nos pères n’avaient guerre d’autres options que de nous transmettre cet idéal mou. Peut-on seulement leur en vouloir ? C’était là tout ce qu’ils connaissaient, tout ce à quoi leur esprit s’était ouvert. « Va à l’école fils, travaille y bien, trouve un job, et fonde une famille ». Straight and clear. Mais comme on dira une fois de plus, ils auront essayé.

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Puis, il y a eu nous. La turbulente et truculente génération que je décris plus haut. Cette génération qui a eu une chance que ses parents,  hélas n’eurent. Celle d’être des citoyens du monde. D’un monde connecté, globalisé, ouvert sur lui même. Nous sommes la génération qui en grand nombre peut se comparer au reste de la planète, voir ce qui ailleurs a cours, et s’évaluer. Nous sommes la génération qui n’accepte rien de moins qu’un iPhone à Conakry parce que c’est la tendance à Paris, celle dont Wizkid fait danser tout Londres, cette génération qui a suffisamment de force pour réaliser qu’elle est lésée et faire tomber Ben Ali, Moubarak, et reculer Mohamed VI. Que de choses… Mais au delà de nos faits, la question de notre héritage se pose déjà. Nous sommes le dernier chapitre à date d’une histoire dont il faut apprendre, tirer des leçons, gagner en intelligence. Nous sommes aussi des jeunes qui dans leur époque font face à de nouveaux défis avec à leur disposition de nouveaux moyens. A nous d’écrire les nouvelles pages.

Monter le niveau. Réussir plus. Rien de moins.

Un proverbe en goun (langue béninoise) enseigne que si ce ne sont ses enfants, un pays ne peut compter sur personne pour se développer. Saisissons donc cette opportunité de hisser la barre au sommet. Soyons la génération du « comme on l’a vu, ils ont réussi ».

A mon sens, la marque de notre génération ne devrait pas être ses efforts, mais sa capacité à penser par elle-même et à réussir ses entreprises. C’est là notre marque d’inflexion vis à vis de ceux qui nous avaient précédé. Voici maintenant 60 ans que nous vantons, et vendons l’effort. Nous n’avons récolté que de maigres succès, et avec, bien plus de désillusions, de peines, et de pauvreté que jamais. Si vous souhaitez mesurer le niveau d’une économie, tentez d’intégrer ses écoles d’élite. Vous vous ferez vite une idée de l’exigence qui en imprègne la culture, et de l’importance du résultat. L’histoire est ingrate. Elle ne retient pas ceux qui essaient, mais ceux qui réussissent. Ceux qui ouvrent de nouvelles voies, offrent de nouvelles perspectives, établissent de nouveaux records, brillent. Ceux-là sont les perles, ceux-là sont les exemples. Et on en a besoin de plus.

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Être exigeants, rigoureux, critiques, et beaucoup moins crédules.

Ma génération a la maladie de l’entrepreneuriat et de la réussite. Elle veut tellement réussir qu’elle croit tout mirage qu’on veut bien lui présenter. Un trader millionnaire du Forex, une femme d’affaires qui aurait conçu une plateforme de trading sans aucun background en finance, un jeune camerounais qui depuis trois ans fait le tour de la toile pour promouvoir ses drones, ou un président qui vend des qualités de manager à prix d’or. Le point commun de tous ces parcours, l’absence de matière. Lorsque l’on nous parle d’une entreprise qui serait révolutionnaire ou d’un jeune africain qui changera le monde, de grâce ne soyons pas crédules ! Attendons des réalisations concrètes, des résultats, une reconnaissance par des organismes dont on ne doutera pas et qui eux-mêmes citeront le lauréat. Attendons le récit d’un parcours long, complexe, que le temps, les épreuves, la formation et le talent auront forgé. De nos dirigeants, exigeons le meilleur. Ne nous arrêtons ni aux titres ronflants de journaux, ni aux discours mielleux.  Mettons à l’épreuve d’une rigoureuse analyse chaque décision, chaque choix, chaque projet public.

Lorsque cela ressort de nos compétences soyons critiques, et sinon, prenons conseil et tuons l’ignorance.

 

Être plus inspirés, plus énergiques, plus forts.

Des réussites quantifiables, vérifiables, et véritables existent pourtant. Au Bénin, mais aussi partout ailleurs en Afrique. Trouvez-vous les vôtres mais soyez exigeant dans leur sélection. Mettez la barre haut, mettez-là très haut. Dans la crème, faites le tri et prenez la crème. Puis, faites tout ce qui est en votre possible pour réussir autant, sinon mieux que vos exemples.

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Au Bénin, la réussite de Nanawax me fait rêver.

Elle fait le tour du monde, et habille à Paris, Montréal, Abidjan et Libreville… Son parcours est dense et n’a rien de fantaisiste ou de surfait. Noélie Yarigo a offert au Bénin une qualification à Rio 2016,  une demi-finale olympique du 800m, un titre de championne de France. Elle transmet chaque année sa passion aux enfants du Bénin à travers une course : les foulées de la Penjari.

Karelle régale nos papilles, fait briller le Bénin. Elle a un blog qui ne se contente pas d’être sympathique. Elle est en train d’en faire une entreprise primée qui développe des partenariats stratégiques avec les grands noms du Sénégal : Sédima Group, Orange, ou Patisen.

Ulrich Sossou ne s’est pas inventé un personnage, faites un tour sur la toile pour vous en convaincre. Fanicko fait bouger l’Afrique. Ce n’est ni à Douala, ni à Libreville, ni à Lomé qu’on vous dira le contraire. Et puis il y a Diamant Noir à qui on peut reprocher ce qu’on veut, mais qui aura fait danser la jeunesse béninoise depuis plus de dix ans. Les succès sont là. Les autres passent, eux demeurent. Cliquez pour tweeter

Il y a Jean-Batiste Satchivi, patron d’Agrisatch. 90.000 œufs de poule produits au Bénin par jour, plus de 50 milliards de francs CFA de chiffres d’affaires, et encore des projets plein les cartons. Hamet Aguemon, brillant banquier béninois formé à la TSE et à la Wharton, et passé par EDF et Goldman Sachs. Il y Romuald Hazoumé, artiste plasticien béninois qui s’expose à New York, Paris, Londres, Turin, Johannesburg, dont David Bowie était un grand fan. Il y a Vital Panou, qui sur Facebook se fait le relai régulier et utile à la diaspora de l’actualité béninoise. Il corrige le défaut de présence de nos télévisions là où nous Béninois sommes.

Il y a la diva Angélique Kidjo, trois Grammys, des distinctions à remplir une salle, et tellement de tours du monde qu’on ne les compte plus.

Hors de nos frontières nous avons Jean-Luc Konan, banquier, entrepreneur, ancien de la Barclays, d’Ecobank, et de UBA, qui depuis quelques années a créé Cofina. Plus de 200 millions d’euros de crédits accordés à 60.000 clients dans 6 pays africains. Le Président Kagamé du Rwanda, qui a réussi en 20 ans à passer du génocide à la prospérité économique. Il est aujourd’hui à la tête d’un pays qui innove dans les technologies, le tourisme et l’entrepreneuriat. C’est cela que devrait être un modèle présidentiel d’inspiration. Et ce ne sont pas les étudiants de la Harvard Kennedy School qui diront le contraire.  Abdourahmane Cissé en Côté d’Ivoire, polytechnicien, banquier de haut calibre qui a fait ses armes chez Goldman Sachs, et Ministre du Budget et du portefeuille de l’Etat ivoirien. Artisan de premier plan du renouveau du 225. Une moyenne de croissance d’environ 9% pour le pays sur ces cinq dernières années. On continue ?

La liste est interminable, tant nous regorgeons dans nos pays d’hommes et de femmes capables, courageux déterminés. Le point commun de toutes ces personnes, le résultat. Elles créent, innovent, réalisent, réussissent. Leurs parcours sont là, présents et indiscutables, mais surtout leurs résultats suivent, et c’est en cela qu’ils sont des modèles.

C’est cette génération que nous, Africains d’aujourd’hui devons être. Celle dont on ne dira pas seulement qu’elle aura essayé, mais qu’elle aura réussi, et avec la manière. Soyons la génération du résultat. Celle qui sait se montrer humble sur ces efforts, mais sait célébrer ses victoires. Celle qui pour croire exige de voir, de toucher, de constater. Le résultat,  fusse t-il modeste, comptera. Valorisez la réussite, les actions concrètes et mesurables. Pas les discours creux, ni les promesses mielleuses, ni les intentions louables. Voici 60 ans que nous sommes en voie de développement. Il serait peut-être tant d’arriver à destination…

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Eriger l’effort en religion, la réussite en Dieu. Adopter la culture du meilleur, sinon rien.

Enfin, nous avons besoin d’être une génération qui sait penser par, et pour elle-même. Trouver des solutions africaines aux problèmes africains. L’urgence de savoir prendre du recul et de la hauteur est réelle. Le défi pour nous est là. Dans notre capacité à élargir notre champ de vision, à avoir de la perspective et de l’épaisseur dans nos idées. On n’a plus seulement besoin de vision métiers, mais de penseurs de leurs secteurs. Si vous avez fait des études de médecine, votre œuvre ne devrait pas se résumer à trouver de l’emploi. Posez-vous des questions sur les grands enjeux de santé de votre pays, du continent, sur les grands défis de votre secteur, sur ses perspectives les plus fortes. Demandez vous ce que vous changeriez si vous étiez aux commandes, et trouvez le moyen de faire ces changements sans y être.

On n’a plus seulement besoin de personnes qui savent diagnostiquer des maladies, guérir des maux. On a avant tout besoin de gens capables de repenser l’hôpital béninois, africain et son organisation, la formation de ses médecins, le financement de la santé, ou le système de réponse aux urgences épidémiologiques. Voilà ce qui fera la différence entre les médecins de notre génération et ceux qui les ont précédé. Charge à chacun de transposer cette approche dans sa profession.

Allo l’Afrique ? Ici les jeunes !

 

Naofal Ali


Naofal Ali a fait ses classes de marketeur chez des leadears mondiaux de l’industrie agroalimentaire: Orangina Schweppes, Petit Navire, et le britannique ABF. Sur son blog, il  écrit sur les dynamiques africaines, le marketing, les questions de développement et d’entrepreneuriat.

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