Claude Biao, je l’ai connu sur une impulsion. Et depuis je l’aime sans injonction. Ensuite, je l’ai connu pour la seconde fois par Bamidélé, l’une des meilleures nouvelles que j’ai jamais lu. Il est plutôt le curieux, le poseur de questions, mais aujourd’hui je m’érige, je lui ôte ses attributions pour vous le montrer, lui qui un jour, m’a donné envie de faire vibrer le monde par l’Alphabet.
Un petit coin dans un petit restau, une petite question: Pourquoi tu écris? Et il me répond sans tiquer: C’est pour moi un acte de salubrité, j’écris à partir de mes malaises. Je n’en reviens pas, je sais que j’aurai dû ne plus poser de questions, mais je suis têtue.
Quels étaient tes rêves? Vendeur de cigarettes sur le marché noir.
Et c’est parti en cacahuètes…
Alors Claude, à part renaître par les mots, tu fous quoi sur la terre ?
J’ai une formation de diplomatie et relations internationales à l’ENAM Bénin, et rédacteur dans le desk actualité internationale à Diaspora FM et Eden TV (où j’anime par ailleurs une émission littérature « A livre ouvert » pour la radio et « Libres Hauteurs » pour la télé) ; et observateur pour l’observatoire international de l’OHADA.
Il paraîtrait que par deux fois on a entendu ton nom à l’international ?
Mes nouvelles Bamidélé et Le désert n’oublie pas, ont été parmi les lauréates du Prix de Jeune Écrivain 2013 et en 2015. En 2014, Un monde où il a une place pour chaque sourire (dessin-récit) a reçu le premier prix du Concours Croquons la Francophonie, et La foule des Sans-titres (poésies) a reçu le Prix Stéphane Hessel de la Jeune écriture francophone dans la catégorie poésie.
Comment tu fais pour dire ces choses si simples d’une manière extraordinaire ?
Je n’en sais rien ! Je crois que je reste honnête avec moi… y compris avec mes malaises. J’ai toujours écrit des choses comme autant de prétextes pour en taire, c’est en ça que écrire est une sorte de compromis (ou de jeu d’équilibre) pour moi, entre le besoin de rendre ces malaises (dont je parlais) un peu plus distants et de les poser comme des questions au lecteur, et celui de m’en réserver l’intimité. Ce que je voudrais, c’est de rester éveillé au monde, aux autres, et à moi-même. Share on X
Si tu devais donner un pouvoir à tes lettres, lequel leur donneras-tu ?
Ils sont bien comme ils sont, qu’ils restent à leur place. Je n’ai jamais eu la prétention de changer le monde (je voudrais déjà l’appréhender tel qu’il est, chaque jour). C’est dangereux d’écrire (de manier « les lettres » comme tu dis), c’est comme des enfants qui s’amuseraient avec des allumettes. Sartre (que j’aime bien citer) dit que les mots sont des pistolets chargés. Alors celui qui a besoin de pouvoirs ce n’est pas ce que j’écris, c’est plutôt moi-même, pour en contenir et en canaliser le pouvoir déjà extraordinaire.
Tu es polygame, oups, prolixe comme plume…
En littérature :
Visa pour la prison (théâtre, dans le palmarès du prix Plumes Dorées 2009), Futur-mort (théâtre, 2010), Le chant de l’Initié (poèmes, 2011), Les miracles attendront demain (théâtre, 2012), Bamidélé (nouvelle, dans le palmarès du Prix du Jeune Ecrivain 2013), Mandela, avant de retourner me battre (nouvelle, dans une anthologie intitulée : Mandela, La grande rencontre, 2014), Le désert n’oublie pas (nouvelle, dans le palmarès du Prix du Jeune Ecrivain 2015), Adéyèmi ou La couronne leur va si bien (théâtre, sélection et joué au Festival international de théâtre des lycées et collèges du Bénin, édition 2014, et qui devrait sortir cette année) …et ceux que je couve encore.
Dans mon domaine d’études :
Le droit d’établissement des professionnels libéraux ressortissants de l’espace UEMOA au Bénin, (mon mémoire de fin licence professionnelle, revu corrigé et publié par le Peace Research Institute du Prof. John G. Dossou, et en cours de traduction en anglais, 2013) …et ceux que je couve encore.
Un spoil s’il te plaît ….
Plein de travaux inachevés sur lesquels je reviens (ou me promets de revenir si j’en trouve le courage) à mon rythme. En parler serait me donner la pression, et ça je ne sais pas bien le faire.
En plus, tu joues de la guitare comme un ange ! Tu penses à une carrière dans la musique ?
Ça ressemble à un compliment ! Merci ! J’ai eu le choix à un moment, d’abandonner (ou presque) tout pour être musicien. En ce moment-là, je n’avais pas choisi la musique. Je ne regrette pas, mais je laisse la vie (ou moi-même) me surprendre en changeant d’avis ou non. Je me suis toujours laissé conduire dans mes choix, par ce qui me ressemblait (qui me paraît un terme plus adéquat pour désigner ce que d’autres appelleraient leur passion), et c’est ce que je veux continuer à faire.
Laquelle de tes histoires préfères-tu ?
Je ne sais pas, j’aime chacune d’elles. Surtout, je respecte les questions que chacune d’elle avait voulu poser au moment où je l’écrivais (et qui peuvent avoir changé aujourd’hui pour moi, ou simplement ne plus avoir aucune importance). Je pourrais dire aujourd’hui que j’ai beaucoup aimé le labeur que cela m’a causé d’écrire « Le désert n’oublie pas ». Mais c’est parce que c’est le tout dernier, dès qu’il en sortira un autre, peut-être que je dirais la même chose de lui.
Qu’est-ce que tu penses pouvoir apporter au Bénin et qu’aimerais-tu qu’il t’apporte en tant qu’écrivain et citoyen ?
C’est au Bénin de savoir (ou de trouver) ce que je pourrais lui apporter en tant qu’écrivain. En tant que citoyen, j’aime et respecte mon pays. Je souhaite continuer de m’acquitter de tous mes devoirs civiques (tant qu’ils respectent mes convictions personnelles, et tant qu’on ne me complique pas la vie pour le faire).
Quant à ce que je veux que le Bénin continue de m’apporter en tant que citoyen, ce sont tous mes droits civiques. Et en tant qu’écrivain, juste de l’électricité pour continuer à allumer mon ordinateur, le reste je pourrai le lui arracher ou aller le chercher ailleurs.
Et si tu nous faisais cadeau d’une de tes palabres, je veux dire histoire ?
Je vous proposerais La foule des Sans-titres (Prix Stéphane Hessel 2014). C’est de la poésie.
PDF: La foule des Sans-Titres (poésie) ==== A lire.
Y a-t-il un conseil que tu aimerais donner à moi, ton admiratrice ? Et aux autres aussi…
De ne pas trop m’admirer, je pourrais la décevoir ! Enfin… je n’espère pas, mais tout ce champ de possibles qu’est l’humain ne rend-il pas ce genre de sentiment plutôt aléatoire et incertain ? (En fait, je tente de dissimuler un malaise : je ne sais pas donner de conseils). Ce que je me dis par contre (qui sait, peut-être que ça pourrait servir) c’est que je souhaite par-dessus tout, d’avoir toujours la modestie de rester un être humain jusqu’à la fin de ma vie (au-delà on verra si la nature me donne un autre statut).
Extraction de cerveau ? C’est pour ma collection.
« On rencontre autrui, on ne le constitue pas »… extraction du cerveau de Jean-Paul Sartre 😉
Une expérience qui t’a marqué ?
Chaque jour est une expérience qui me marque 🙂 Share on XTu as un blog : Pensées Bâtardes. Pourquoi Bâtardes, tes pensées ?
L’idée de Pensées bâtardes c’est (je le dis dans l’article inaugural) d’en faire une sorte de point de chute des réflexions, questionnements (humeurs !) dont par convenance ou lâcheté je n’ai pas osé porter la paternité sur la place publique ; ou des pensées d’autres que je n’ai pas commenté alors que dans ma tête ça a fait des jours de débat ! C’est de là que vient le qualificatif de « bâtardes » attaché à mes pensées. Mais ça reste très attaché à ma démarche en général (en tant qu’auteur, dans mon domaine d’études, ou dans mon travail) : toujours poser les bonnes questions.
J’ai interviewé Claude Biao parce qu’il fait partie de ceux qui luttent pour enlever les 3 désespérantes lettres de ce quartier Latrines que devient notre cher Bénin, autrefois Latin et Mensa. J’ai demandé à Claude, comment veux-tu que je te montre? Indécis? Déterminé? Ou Au gré du vent? Il m’a répondu: Les trois! Le voilà donc dans toute sa splendeur, celui-là qui porte loin le nom de notre pays, qui est capable de vous faire gesticuler le cœur par ce fameux: « Tu espères encore qu’elle revienne, hein? ». Il s’était voulu vendeur de cigarettes sur le marché noir, il est devenu éboueur, vendeur d’émotions sur un marché noir de monde. Noir d’espoir.
Claude, merci pour ces belles boues. Elles nous habillent d’humanité.