Nous avons rencontré une championne pur sang. Noélie Yarigo est une athlète béninoise qui a fait le tour de nos cœurs en quelques secondes par son talent et sa détermination. Noélie a commencé à courir à 08 ans, dans son village natal Matéri. Depuis lors, elle ne s’est plus jamais arrêtée. Elle a une furieuse envie de gagner. Au risque de s’envoler, elle court sans relâche raflant au passage quelques médailles mais plus important encore la fierté de tout un peuple. C’est une championne. C’est une étoile. C’est une Irawo. Vous ne ressortirez pas indemne de cette interview…
Es-tu née en courant ? Comment ça a commencé ?
(rires) C’est ma mère qui m’a donné le goût de courir. A chaque fois qu’elle m’envoyait acheter des choses, elle me disait : « Si tu reviens vite, je te donnerai un cadeau ». Et comme j’adorais boire le lait de vache, elle m’en achetait en récompense. C’était notre deal. J’y ai pris goût. Et à chaque fois qu’on organisait les championnats inter-écoles, je gagnais tout le temps.
Quand est-ce que tu as commencé à prendre « courir » pour une affaire sérieuse ?
J’étais allée à Parakou. C’est là que j’ai fait la découverte d’une ancienne coureuse du 800m qui a demandé à ce que je vienne m’entraîner avec elle dans le club « Les guépards ». Mais ma mère ne voulait pas que je fasse de l’athlétisme parce que des gens venaient la voir pour lui dire que je ressemblais à un « bonhomme », que je ne lui pourrai pas lui donner de petits-enfants. Vu qu’elle n’a pas été à l’école, elle en était paniquée. Moi, je me cachais pour m’entraîner. J’ai fait ça pendant des années. Après, elle était fatiguée. Elle s’est dit qu’il valait mieux me soutenir, puisque c’est ça que j’aime.
Qu’est-ce qui te prédisposait au 800m ?
J’avais des qualités physiques qui me permettaient de m’entraîner sans être fatiguée. Même si en ce moment, ce n’était pas très sérieux parce que je m’entraînais seule, deux fois par semaine en raison du programme scolaire. Je m’entraînais sur les terrains de sport : j’en faisais le tour. Je ne savais pas encore comment m’entraîner toute seule. En 2002, j’ai remporté le titre de championne du Bénin au 800m. En 2004, j’étais championne de l’Afrique de l’ouest junior. Chaque année, je gagnais au tournoi de la solidarité. C’est au 18e championnat d’Afrique à Porto-Novo que j’ai rencontré mon entraîneur actuel. Au départ, je faisais du 400m, c’est après qu’il a trouvé que je n’étais pas faite pour du 400m mais plutôt pour du 800m. Il trouvait que j’étais plus endurante. Je n’avais pas de vitesse mais je pouvais courir sur une longue durée.
L’athlétisme n’est pas le sport le plus populaire au Bénin, mais tu t’y es adonnée sans relâche. Qu’est-ce qui te motivait autant ?
L’envie de gagner. J’ai envie de devenir une grande championne. Share on X Quand je voyais les Kenyanes, les Ethiopiennes, les Américaines courir, je me voyais à leur place. Je me disais : Pourquoi pas le Bénin ?
Tu es caporal de l’armée de l’air béninoise. Ce patriotisme vient-il de ta formation militaire ?
Quand j’ai été mutée aux forces aériennes, ils m’ont donné la liberté de pouvoir m’entraîner. Ils ont vu que j’avais du potentiel et que j’étais vraiment motivée. On m’amenait même au stade de l’amitié avec notre gros camion militaire pour les entraînements. Tout le monde me regardait avec de gros yeux. J’avais souvent honte mais je n’avais pas le droit de refuser. (Rires).
Il faut bien courir pour voler. Tu as pris ton envol à partir du championnat d’Afrique, en 2012.
Ma participation m’a plus motivée à continuer. Quand Claude Guillaume a demandé à m’entraîner, je me suis dit : Pourquoi pas ? Il a fait les démarches pour que l’armée puisse me mettre à la disposition du ministère des sports. Je suis allée en France le 01 avril 2013. J’ai galéré la première année. Deux semaines après mon arrivée, j’avais déjà envie de rentrer. La différence de température, la solitude, le changement de rythme. J’ai failli mourir de froid. Je pensais à ma mère tout le temps. Et puis, ce n’est pas comme en Afrique où il y a toujours quelqu’un pour toi. Tout le monde est occupé. Tu es donc obligé de rester dans ton coin. Je m’entraînais tous les jours : matin et soir. Or, je n’étais pas habituée à un tel rythme. Je me posais des questions. Est-ce que je pourrais tenir ? Il y avait des moments où je finissais l’entraînement et je n’arrivais ni à manger ni à dormir. Avant d’aller en France, je gagnais tout le temps. Je pensais que personne ne pouvait me battre. Il a fallu que je parte en aventure pour comprendre que ma performance était l’échauffement des autres.
Comment t’es-tu sentie en te rendant compte qu’entre toi et le podium, il y avait de bons mètres ?
Mon entraîneur m’avait prévenue. Il m’a dit que je n’étais pas venue pour du tourisme. Ça m’a choquée. Je me demandais comment il avait pu me dire ça. Je sais d’où je viens et je connais mes objectifs. Il a aussi ajouté qu’il n’était pas un magicien et que pour réussir il fallait travailler. J’ai beaucoup échoué. A chaque fois que je participais à des compétitions, j’étais dernière. Chaque échec a été une expérience que j’ai su mettre en avant pour pouvoir réussir aujourd’hui.
Que s’est-il passé par la suite ?
La seconde année de mon séjour en France (2014, ndlr), j’ai amélioré mon chrono. De 02 minutes 06 à 02 minutes 00. J’ai d’abord occupé la troisième place au championnat de France. L’année qui a suivi, je remportais le championnat. L’IIAF fixe des minimas, des performances que l’on doit réaliser pour être invité aux grandes compétitions. Mon objectif était de réaliser les minimas et être tranquille pour pouvoir mieux m’entraîner. Je ne souhaitais pas y être invitée par affinités. Je voulais mériter ma participation aux JO de Rio. Share on X
Quand on est motivé par l’envie de gagner mais qu’on est soumis à tant d’échecs, qu’est-ce qui permet de ne pas sombrer ? Cela ne met-il pas en péril la confiance en soi ?
J’étais vraiment déterminée. Et mon coach était tout le temps derrière moi. Ma mère aussi. J’ai beaucoup appris de mes échecs. J’ai forgé mon mental. Il faut connaître des échecs pour mieux savourer la victoire. Si tu n’as jamais échoué dans ta vie, tu ne peux pas savourer la victoire comme quelqu’un qui a galéré pour gagner. A Rio (aôut 2016, ndlr) , quand j’ai vu que j’avais fait un chrono de 1 minute 59 secondes 12, je me croyais dans un film. J’étais tombée. Je criais. Les gens pensaient même que j’étais blessée.
Comment as-tu préparé les JO ?
J’ai réalisé les minimas. Mais à 03 mois des JO, j’étais tombée malade lors l’évènement que je réalise au Bénin chaque année : « Les foulées de la Pendjari ». J’avais été piquée par des moustiques. A mon retour en France, j’ai fait une grosse crise de paludisme. J’étais même tombée évanouie lors d’une course. On a essayé de me ranimer pendant 30 minutes. Je suis restée à l’hôpital pendant des semaines. J’ai préparé les JO pendant 04 ans. Il fallait que j’y aille. J’ai dû tripler parfois les séances par jour pour être à mon meilleur niveau.
Qu’est-ce que Rio t’a appris de plus beau et de moins beau aussi ?
Rio m’a encore plus donné envie de continuer. J’étais très contente de ma prestation. Cette grande compétition m’a permis de me hisser au 13ème rang mondial. Les JO m’ont appris qu’on peut-être Béninois et faire de grandes choses. Share on X On peut faire parler de notre pays avec l’athlétisme. Avec d’autres domaines aussi, en y travaillant. Avant, j’écoutais trop mon corps. Je peux me dire lors d’une séance : « Je suis fatiguée ». Or le corps a une carte mémoire. Quand tu te dis cela, tout ton corps te suit. J’ai appris à ne plus écouter mon corps. C’est ce qui m’a permis de progresser à Rio. C’était « ça passe ou ça casse ». Après ma demi-finale, une dirigeante Kenyane m’a dit : « toi, il faut qu’on te refuse le visa. Tu viens percer le mythe et battre nos filles. Ce n’est pas normal ». (Rires)
Pourquoi dit-on que Noélie Yarigo est la seule athlète béninoise ?
Parce que depuis la première participation du Bénin aux JO, je suis la première athlète à atteindre le niveau que j’ai aujourd’hui. Je suis dans le top20 mondial. Il n’y a jamais eu d’athlète qui ait pu d’abord réaliser les minima, et avoir ce niveau.
Et l’après JO ?
Après les jeux olympiques, j’ai participé à une compétition de 1000m en France que j’ai remportée, et où j’ai amélioré mon chrono qui était de 02 minutes 44s à 02 minutes 43s 04 : c’était le record du Bénin au 1000m. C’était au 10e anniversaire de Joué-Lès-Tours.
Quelles sont tes valeurs ?
Quand je veux un truc, je mets tout en œuvre pour l’obtenir. J’aime partager mon expérience avec d’autres personnes. Et j’adore l’igname pilée (rires).
Quelqu’un a dit qu’il est difficile d’être une athlète béninoise avec le regard des autres, cette pseudo-obligation à se marier et à agir selon des valeurs prédéfinies souvent fallacieuses. Ta carrière ne cèdera-t-elle pas à la pression ?
Quand tu es une femme et que tu fais un sport intense qui te déforme, les gens en parlent et te regardent bizarrement. C’est comme si tu étais un extraterrestre. Certaines ne supportent pas mais moi, ça ne me dérange pas. Ce corps, c’est moi, c’est Noélie. Je fais beaucoup de musculation. Share on X Sans ça, je ne peux pas progresser. Je m’en fous du regard des gens, je m’en fous de ce qu’ils disent. Le reste peut attendre. Il faut savoir faire la part des choses. Il y a un temps pour les activités et un temps pour les enfants. Je tiens beaucoup à mes objectifs et j’irai jusqu’au bout.
Qu’est-ce qui t’inspire quand tu as le moral à plat ?
La musique. J’aime beaucoup « Au bout de mes rêves » de Booba. La musique est comme une drogue pour moi. Quoique je sois convaincue que sans dopage on peut réussir. La preuve, j’ai réalisé mes performances sans dopage. Depuis que j’ai fait un chrono de 2min 00, on venait parfois me réveiller en pleine nuit pour faire un contrôle. J’étais obligée de donner ma position, de ne pas découcher.
Quelle est ton opinion sur la question du dopage ? Est-ce que les athlètes se dopent vraiment beaucoup ?
Il y en a qui le font. C’est dommage car ça nous pénalise nous autres, qui nous entraînons vraiment à fond. Si sans dopage, nous arrivons à faire des performances, pourquoi ne peuvent-ils pas faire comme nous ? On peut réussir sans dopage. Quand on pense à se doper, c’est qu’on se croit déjà faible. Share on X Je pense que quand tu sens que tu as déjà atteint tes limites, il faut arrêter et passer à autre chose.
Tu sens tes limites venir ? Et quels sont les obstacles qui ont essayé de t’empêcher d’arriver au bout de tes rêves ?
J’ai encore de l’énergie à revendre. Le jour où je sentirai que j’ai atteint mes limites, je vais arrêter. Les choses seront difficiles mais pas impossibles. Quand en 2012, mon entraîneur disait que j’étais capable de réaliser les minimas, les gens lui riaient au nez. Ma force c’est mon mental. Beaucoup de personnes ont essayé de me décourager : « Laisse le sport, il n’y a rien dedans ». Je répondais non, nous n’avons pas les mêmes chances.
Je veux réussir. Je dois réussir. Je n’ai pas forcément besoin qu’on me soutienne. Je travaillerai avec mes moyens de bords et je vais y arriver. Il y a eu des moments où j’ai manqué de soutien. Un entraînement de haut niveau demande un gros budget, un suivi médical, une alimentation saine. C’est difficile de contrôler tout ça. Il y en a qui finissent de s’entraîner et vont boire du gari. Comment vont-ils récupérer l’énergie perdue? En plus, nous n’avons pas de matériel, de salles de muscu, pas d’infrastructures, les conditions de préparation aux compétitions. On est obligés de faire avec.
Est-ce que le Bénin par son gouvernement t’a manifesté son soutien depuis les JO ?
J’ai été reçue en audience par le ministre des sports. Il me disait qu’il a prévu une bourse pour moi et qu’il attend l’occasion pour me la donner. Mais je suis St Thomas.
Avec « Les foulées de la Pendjari », tu recherches des talents en athlétisme…
Je passe à la détection des jeunes. Je ne vais pas courir toute ma vie. Chaque année, j’en découvre. Je veux mettre un système en place avec la mairie de Matéri pour mettre ces jeunes talents dans un collège unique, où ils seront formés par des professeurs de sport formés eux-mêmes. Je pense aussi créer une bibliothèque à Matéri : ils n’en ont pas.
Comment gagne-t-on sa vie avec l’athlétisme ?
Ça dépend du niveau, des contrats que tu as, des compétitions que tu gagnes. Mais il est impossible de concilier un sport de haut niveau et un boulot. Ça finira par payer. Le peu que tu gagnes, tu t’en sers pour t’entraîner au jackpot.
Quel conseil donnerais-tu à une petite fille de 08 ans qui a envie de courir comme Noélie Yarigo?
Il faut qu’elle travaille dur et qu’elle soit patiente. Pour devenir championne, il faut passer par plusieurs étapes. Ce n’est pas de la magie.