Romarick Atoke construit des cases!

Un jour, quelqu’un a dit : « Les Africains n’ont pas besoin de diplôme d’architecture pour construire des cases ».  J’aurai aimé voir cette personne découvrir Romarick Atoke pour qui l’Architecture est une seconde peau, et qui ne construit pas que des cases. Entrepreneur, architecte, Béninois, jeune, passionné et engagé, quels adjectifs n’attribuerait-on pas à Romarick Atoke?

Pendant des heures, il m’a parlé d’argile, d’urbanisme, d’acoustique, de terre et de développement tellement qu’en le quittant je n’avais plus la même perception de l’espace. Je le voyais à présent de manière plus esthétique, plus calculée.

Forbes a identifié comme l’un des trentenaires qui changent l’Afrique, celui-là qui par ses actions répond à une grande question: « Que faites-vous pour votre pays? « .  Romarick m’a posé cette autre grande question: « Comment peut-on construire un pays sans architectes? « . Je vous propose de découvrir ce Béninois qui, au sens littéral du terme, apporte sa pierre à l’émergence de notre pays et de notre continent.

Comment peut-on construire un pays sans architectes? Share on X

Trentenaire, béninois et architecte. Assez atypique comme profil. Pourquoi avoir choisi un métier aussi peu connu dans un pays où les maîtres-maçons sont omniscients, omniprésents et omnipotents ?

Le choix s’est fait tout naturellement, mais avec l’aide de mon père également. Liés à la terre, parce que depuis mon plus jeune âge avec mes frères et sœurs, nous avions pour habitude d’aller passer nos vacances à la ferme à parcourir des kilomètres dans les champs et parfois à sarcler et récolter des semences. C’est de là aussi que l’amour pour la terre m’est venu et j’ai succombé.

Nous avons besoin des maçons. Mais, on a besoin également de professionnels pour la conception et la réalisation de projets innovants, doté d’identité architecturale et conçus selon les codes de la déontologie.

L’architecture n’est-il pas un « métier de Blanc » ?

Non, pas du tout ! C’est un métier pour tous. Et d’ailleurs, on a beau faire appel au « blanc » pour concevoir un projet en Afrique, il ne peut le faire parfaitement sans collaboration avec un architecte local ou régional. Car, concevoir un projet, c’est connaître le territoire et le cadre bâti dans lequel il s’insère, les habitudes et les mœurs ainsi que la sensibilité des usagers, etc…

Nous devons éviter le copier-coller architectural. Une architecture occidentale n’est pas forcément adaptée aux réalités tropicales de l’Afrique. Est-ce qu’un Blanc cuisine du foufou sur sa terrasse ? Il faut pouvoir adapter l’expertise étrangère aux réalités locales. Et cela, un professionnel local est apte à le designer.

Une architecture occidentale n’est pas forcément adaptée aux réalités tropicales de l’Afrique. Share on X

Romarick me montrait ses chantiers au Bénin et dans la sous-région

Aujourd’hui, vous êtes architecte et entrepreneur. Et dire que tout a commencé au Lycée Coulibaly, avec un CAP d’aide dessinateur.

En effet, j’ai fait mes études au Lycée Coulibaly, couronnées par un CAP Aide Dessinateur Métreur Bâtiment puis un BAC F4 Option génie-civil. Ensuite, j’ai fait deux années à Accra où  j’ai obtenu mes diplômes d’anglais et d’informatique. C’est après que je suis allé à Tokyo grâce à une bourse du gouvernement japonais. J’ai obtenu mon diplôme de japonais puis mon diplôme de technicien supérieur en architecture.  J‘ai atterri dans la capitale française où j’ai obtenu  ma Licence puis  mon Master 2 en architecture à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris La Villette (ENSAPLV).

Aujourd’hui, je suis donc Architecte Diplômé d’Etat. Après plus d’un an en tant qu’architecte chef de projet au sein d’une agence d’architecture parisienne, je soutiens ce mois de Janvier pour pouvoir m’inscrire à l’Ordre des Architectes en France. Je suis Président Fondateur de l’association AFRIKArchi, Directeur de publication de AFRIKArchi Magazine (numérique et papier), Architecte au sein d’une agence à Paris, Directeur de Global Archiconsult et de Consultant Afrique, et je fais également de la photographie d’architecture – d’urbanisme et de paysage en Afrique exclusivement.

Le magazine AFRIKArchi disponible en version numérique également
www.magazine.afrikarchi.com

Quel est l’idéal que représente AFRIKArchi ?

J’aime le partage. Avec des amis étudiants, nous avons monté AFRIKArchi qui est aujourd’hui une fierté africaine. Nous organisons le plus grand concours mondial d’architecture – d’urbanisme et de génie civil dédié à l’Afrique et qui regroupe à chaque édition plus de 1000 participants. Parallèlement, nous menons d’autres activités telles que le magazine, les expositions itinérantes, les conférences ainsi que le réseau professionnel et social. Tout ceci pour créer la compétitivité, cultiver la créativité parmi les jeunes architectes, urbanistes et ingénieurs . 

Alors, le Grand Prix Charles-Henri Besnard de Quelen, AfrikArchi, le classement  Forbes, ces voyages autour du monde, en gros, tout ce succès. N’est-il pas dû à un pistonnage, à votre position sociale ? Ne seriez-vous pas juste « un fils de » ?

“Les poils du singe ne révèlent pas sa transpiration et pourtant il transpire!”. Position sociale, pistonnage, fils de …. Ce ne sont pas des mots que j’ai connu. Mon père était avocat et pas architecte, ni ambassadeur ou encore décideur politique ! Il serait difficile de mettre ce succès si je peux le dire, sur le dos de ces mots. Par contre, mon père a su m’orienter et me donner les outils pour y arriver.

Je me suis vu octroyer une bourse pour le Japon, après des examens. En France, je menais ma vie entrepreneuriale parallèlement à mes études supérieures. J’ai eu à « jobber » comme tout le monde à Paris. Je subviens depuis des années à 100 % à mes besoins, sans apport de mon père, qui malheureusement nous a quittés. Quand on est pas « fils de » justement et qu’on veut changer le monde, on se donne les moyens techniques pour y arriver. Je suis fier d’avoir sué pour avoir du soutien, un réseau.

Quand on est pas « fils de » justement et qu’on veut changer le monde, on se donne les moyens techniques pour y arriver. Share on X

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Devenir ce self-made-men a dû vous demander beaucoup de force…

Comme tout entrepreneur, je me suis confronté à plusieurs situations.  Entreprendre, c’est se heurter, tomber et savoir se relever et avancer. Je suis un éternel optimiste, mais aussi réaliste. Cela m’a beaucoup aidé à persévérer.

Par exemple, la première édition du concours ARCHIGENIEUR AFRIQUE que j’ai lancé avec l’association. Elle a failli ne pas se faire, d’ailleurs on a difficilement lancé cette première édition environ 6 mois après la date de lancement initialement prévue. Pourquoi !? On n’avait pas le financement, même si nous étions épaulé techniquement par des professionnels et institutions de reconnues. Mais, nous n’avons rien lâché ! Nous avions à 80 % autofinancé cette édition, les 20 % était une aide financière de 2000€ que nous avions pu obtenir auprès d’une mairie en France.

Tout cela nous a forgé et nous a emmené à changer de stratégie pour mener à bien nos projets. Il faut savoir saisir les opportunités qui se présentent à nous, car il y en pas tout le temps. J’ai appris à ne pas me plaindre, mais toujours foncer en restant prudent.

Dans un contexte où la gérontocratie, l’anarchie architecturale, le chômage et « l’expatphobie » règnent, revenir au pays ne vous effraie-t-il pas ?

Non, pas du tout ! D’ailleurs pour moi ce n’est pas une option. Si j’ai mené jusqu’à ce jour ces actions en direction de l’Afrique, je ne me vois pas rester en dehors pour agir activement. Je préfère faire partie de ceux qui construisent étant sur le terrain.  Nous qui sommes allés à l’étranger avons aussi des choses à apporter à notre pays. D’ailleurs, je suis au Bénin au moins chaque trois mois et je compte bien m’y installer pour mes projets en Afrique.

Ensuite, il est vrai que sur des projets, des clients cherchent à m’imposer leur loi sans penser à mon savoir-faire. On dit que je suis trop jeune ou que je cherche à jouer celui-qui-revient-de-loin-pour-jouer-le-blanc.  En plus, l’architecture étant un travail de conception, le client ne constate pas de manière matérielle le travail, il peut penser qu’on veut le voler. Ou encore concevoir le plan de la maison et voir les chefs-maçons ne pas pouvoir le représenter correctement. 

Quoique l’environnement y soit peu propice, pensez-vous que des vocations à l’architecture devraient éclore ?

Des vocations à l’architecture devraient éclore, et ce de façon exponentielle. Car, pour bâtir le Bénin il faut des professionnels. En plus, on ne fait pas un métier parce qu’il donne de l’argent mais par passion. L’architecture est un métier semé d’embûches. Il faut rêver plus et moins dormir. On ne peut pas dormir et tout avoir. La base, c’est de s’organiser, de “prioriser”. Et surtout pour un tel métier, il faut communiquer.

Il faut rêver plus et moins dormir. On ne peut pas dormir et tout avoir. Share on X

Le citoyen Béninois et le citoyen du monde auraient-ils des recommandations à faire à notre Etat ?

Comment peut-on construire un pays sans professionnels ? Sans urbanistes? Pourquoi toujours chercher l’expertise ailleurs ? Le ‘’consommons local’’ doit être aussi appliqué à l’architecture! L’émergence doit être accompagné par les professionnels et ces derniers il faut les former. On n’a pas d’école d’architecture au Bénin. Aujourd’hui pour faire des études d’architecture, il faut se rendre à Lomé où se situe l’une des rares écoles d’architecture de la sous-région. Avec une scolarité annuelle déjà à 2,5 millions de CFA, vous voyez bien que ce n’est pas donné. En plus de ces frais, il faut ajouter les frais de loyer, d’argent de poche et annexes dont a besoin un étudiant.

On peut déjà penser à en créer une, mais en mettant les moyens pour arriver à donner des cours de qualité adaptée et à jour. L’Etat pourrait former des commissions ou emmener l’Ordre des Architectes à organiser des formations ponctuelles – séminaires et forums –, des conférences et table rondes durant lequel les professionnels jugés sur leurs expertises pourront cultiver l’envie et la créativité auprès des jeunes architectes ou ingénieurs.

On peut mettre en place une structuration plus poussée aboutissant sur une école d’architecture, tout comme la Côte d’Ivoire l’a fait fin 2015 en créant sa première école d’architecture. Il faut penser à l’électricité de base, sans laquelle on ne peut rien faire aujourd’hui; à l’accompagnement sans taux d’intérêt énorme, à poser les 2èmes pierres après les premières.

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Cotonou

Qu’est-ce qu’un Romarick Atoke, amoureux de la terre et de Dangote, peut apporter à son pays ?

Je pense pouvoir aider le Bénin à mettre en place des moyens de formation des jeunes acteurs pour devenir plus compétents voire même compétitifs. Je suis régulièrement invité à des table-rondes et conférences, récemment j’étais invité à une table ronde organisée dans le cadre de la COP 21, où je parle de mes activités et partage mon point de vue sur bon nombre de sujets liés à l’architecture – l’urbanisme et la construction en Afrique.

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Je travaille sur un projet « Le Grand Cotonou » pour apporter des solutions durables pour désengorger la métropole béninoise. Par exemple, on peut simplement utiliser les données des études météorologiques telles que les volumes d’eau de pluie pour définir les fouilles appropriées des caniveaux. Je compte d’ici la fin de l’année ouvrir la filiale de Global Archiconsult à Cotonou et par l’exercice de la maîtrise d’œuvre au Bénin, former de jeunes acteurs. Je n’ai pas d’ambitions narcissiques, je veux juste voir les choses évoluer.

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