Le graffiti au Sénégal, un art social et engagé

Soleil de plomb, chaleur extrême.

Le mois de janvier, reconnu pour être une période de grand froid à Dakar, semble manquer à ses devoirs. C’est avec beaucoup d’appréhension que je me rends sur le lieu que m’a indiqué Beau Graff afin que j’assiste à la réalisation d’une fresque murale par son groupe de graffeurs, son crew comme disent les initiés, le RBS Crew, un des plus en vue de la capitale.

Beau Graff

Malgré l’inconfort provoqué par le temps qu’il fait, la majeure partie des membres du crew est au rendez-vous. La fresque sera réalisée sur un mur de béton soutenant le pont situé à l’endroit communément appelé Rond-point de l’ancienne piste. L’œuvre du jour est un appel au rassemblement et à l’unité à travers la représentation d’un car rapide sur lequel est écrit une phrase en wolof signifiant « asseyons-nous ensemble » ou « cheminons ensemble ». Le car rapide qui est un moyen de transport en commun illustre bien cette volonté d’unité car, tous les jours, de nombreux inconnus d’horizons divers s’y retrouvent et cheminent ensemble.

Malyka est une jeune photographe dont l’amour pour le graffiti est né d’une longue amitié avec Madzoo Fall, le président du RBS Crew. Au cours de nos échanges sur le trottoir longeant le mur de béton livré aux mains expertes de ceux qui en faisaient une œuvre d’art, elle a bien voulu m’édifier sur ce qu’est le graffiti au Sénégal.  Dans ce pays, cet art a trois objectifs principaux : l’assainissement de la ville en général et des quartiers défavorisés en particulier par le nettoyage et l’embellissement d’endroits souvent très sales, la valorisation de la culture sénégalaise et urbaine, et la diffusion de messages qui appellent au respect, à l’unité, à la cohésion et à la participation citoyenne.

En termes d’assainissement l’effet est immédiat.

Les endroits sales nettoyés et colorés deviennent très vite des petits marchés ou des femmes s’installent pour vendre des beignets, des fruits ou des cacahuètes et où des hommes vendent des marchandises diverses allant des chaussures aux accessoires pour téléphones portables. « Nous sommes parfois appelés par les populations pour l’embellissement des quartiers », m’a révélé Diablos, membre du RBS Crew, Secrétaire général de l’association et créateur de la marque de vêtements de style street wear Doxkatt.

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D’après Beau Graff, graffeur/portraitiste de talent, le graffiti au Sénégal est une conversation entre les graffeurs et les populations. Le taux d’analphabétisme est encore très élevé dans le pays, pourtant des messages importants doivent être véhiculés. Au-delà de l’écriture, ces artistes parviennent à toucher ceux qui ne peuvent lire à travers les scènes immortalisées et les personnages représentés. Par ailleurs, étant un art urbain très ancré dans la culture hip hop qui occupe une grande place au sein de la jeunesse, une tranche très large de la population s’identifie aux graffeurs et sont donc plus perméables à la sensibilisation quand elle vient d’eux.

C’est la raison pour laquelle le crew a voulu décentraliser le graffiti

…dont la pratique se limite presque totalement à la ville de Dakar. Il a initié en 2014 le Last Wall Tour, ou le dernier mur, un évènement qui se tient à la fin de l’année dans une région autre que celle de Dakar. Durant cet évènement, la dernière fresque murale de l’année est réalisée.

L’objectif du Last Wall Tour est de faire connaitre le graffiti dans les autres régions du pays et de faire profiter aux populations d’ailleurs des messages véhiculés qui s’adressent à tous les citoyens sénégalais, donc à eux aussi.

Le Last Wall Tour se donne également pour mission de dénicher de nouveaux talents, des jeunes qui voudraient être graffeurs. Ils perpétueront dans leur région l’œuvre entamée par l’événement : graffer pour le beau, mais aussi pour le bien de la communauté.

© Leslie Rabine

J’ai voulu aller plus loin, mieux comprendre le graffti

…à travers la vision et l’histoire d’un des piliers de la nouvelle génération de graffeurs. Je me suis entretenue avec Madzoo Fall, à la tête du RBS Crew fondé par lui en 2012.

De son vrai nom Serigne Mansour Fall, Madzoo explique sa relation avec le graffiti de la manière la plus simple : « J’ai choisi le graffiti, et le graffiti m’a choisi ». Il s’est très tôt découvert une passion pour le dessin, ce qui a attiré l’attention de « grands frères » graffeurs du crew Mizerable Graff, un groupe créé en 1997 et pionnier du graffiti au Sénégal. Il découvre à leurs côtés l’art qui fera sa renommée et s’approprie le Wildstyle, un style de graffiti dans lequel les lettres sont entremêlées, fusionnées et extravagantes.

À la question de savoir si le graffiti est une forme de vandalisme,

…la réponse de Madzoo est très claire : « Dans certaines sociétés le graffiti est une forme de vandalisme car pour se faire entendre ou pour acquérir une certaine notoriété, les graffeurs vandalisent les biens publics et basculent dans la criminalité. Au Sénégal, le graffiti a une grande dimension sociale et inclut totalement les populations. L’art s’adapte aux réalités locales. Ce n’est pas une bataille entre l’ordre établi et nous, c’est un travail de conscientisation. Ce n’est pas une lutte acharnée, c’est un moyen de conversation. Le graffiti est la voix du peuple. »

Le graffiti est la voix du peuple. Share on X

Tout au contraire des pays occidentaux où le graffiti est un art aussi populaire que condamnable en raison de la destruction de biens publics, cette activité est tacitement légale au Sénégal. Grâce à la dimension sociale qu’ils ont donné à leur travail, les graffeurs sont de véritables modèles. L’œuvre de la figure de proue du graffiti au Sénégal en témoigne. Son nom d’artiste est Docta.

Docta © Hector Christiaen

Amadou Lamine Ngom, plus connu sous le pseudonyme Docta est le premier nom qui vient à l’esprit quand on associe les mots graffiti et Sénégal. Il est célèbre pour son talent, mais également pour deux de ses initiatives. La première est le Festigraff, le premier festival de graffiti d’Afrique qui depuis huit ans déjà rassemble chaque année des graffeurs du monde entier dans une ville du Sénégal. La seconde est la caravane Graff et Santé 100% Social.

Lancée en 2008, le but de la caravane Graff et Santé a été présenté par Docta dans un entretien au média en ligne SenePlus en ces mots :

« Graff et Santé est né du constat que les populations les plus défavorisées avaient besoin de soins médicaux, de consultations gratuites et de sensibilisation. Il est important pour nous de participer à l’amélioration de leur santé. L’objectif est de pouvoir consulter 1000 personnes de tous les âges dans chaque quartier ciblé, de donner accès à des soins de qualité aux populations défavorisées, mais aussi de créer un cadre d’échange et de confiance entre les populations et les corps médicaux à travers le graffiti. Les corps médicaux et les graffeurs s’investissent socialement et financièrement pour le bien-être des populations les plus démunies. Nous voulons également faire du graffiti un vecteur de sensibilisation et de communication incontournable dans la lutte contre certaines maladies. »

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Le graffiti n’est pas un art réservé aux hommes. 

Dieynaba Sidibe en est la preuve. Passionnée de couleurs et de formes la jeune femme a longtemps pratiqué la peinture sur toile avant de découvrir le graffiti à la télévision. Après quelques recherches, elle a trouvé sur internet Africultururban, une association sénégalaise qui se donne pour mission la diffusion des cultures urbaines. À cette époque elle ne comptait qu’un seul graffeur parmi ses membres, Grafixx.

En 2008, Grafixx devient le mentor de celle qui est aujourd’hui plus connue sous le nom de Zeinixx, une contraction de son surnom Zeina et du nom de celui qui lui a appris les bases du graffiti. Elle se fera les griffes grâce à la réalisation de fresques murales réalisées généralement par des groupes de graffeurs et à sa participation aux festivals de graffiti nationaux, puis internationaux.

Dieynaba Sidibi aka Zeinixx graffeuse Galsen, © Gautier Houba

Seule femme dans cet univers pendant longtemps et très bien accueillie par la communauté des graffeurs, Zeinixx a longtemps dû faire face à l’incompréhension de sa famille, à l’exception de son père : une jeune femme Poular n’a pour seules occupations que ses études, son travail et/ou sa famille. À force de persévérance elle a gagné l’approbation et le respect de son entourage, bien que ce ne soit pas toujours évident : « Les gens nous trouvent bizarres au départ. Ils veulent que nous nous conformions aux coutumes sociétales. L’anticonformisme des artistes est mal perçu. »

Graffiti : Docta Wear © Djibril Dramé

L’art n’appartient pas à la rue, il n’est pas destiné aux illettrés, aux non-initiés, aux « pauvres ». Les graffeurs sénégalais se sont appropriés un art aussi anticonformiste que démesuré et l’ont mis au service de leur communauté. Ils ont allié beau et utile, beau et bien-être, beau et rassemblement communautaire.

Anne-Marie Befoune


Anne-Marie Befoune est blogueuse et activiste citoyenne. Elle a créé Elle Citoyenne, un media qui promeut et célèbre l’action civique en Afrique. Elle partage aussi des expériences beaucoup plus personnelles sur Self-ish.

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