TRIBUNE
De plus en plus de voix s’élèvent pour dire que le continent africain n’est pas prêt pour entrer dans l’économie du numérique et que les annonces de startups faites ci et là ne sont que des effets de mode. Qu’en est-il exactement ? Comment tirer profit de l’énorme gisement que représente la jeunesse africaine ?
Facebook, Google, Amazon, Uber, Twitter ont projeté à la face du monde l’énorme potentiel du numérique en tant que générateur de valeur et créateur de nouvelles richesses. Mark Zuckerberg, Larry Page, Steve Jobs, Jack Dorsey, Elon Musk et ses acolytes de la Paypal Mafia ont été aujourd’hui propulsé au rang d’icônes dans un monde où le numérique semble prendre de plus en plus place dans le quotidien des populations.
Si l’Afrique est une singularité en termes d’adoption du téléphone mobile, il n’en demeure pas moins, que de Dakar à Nairobi, d’Accra à Johannesbourg, le continent bouillonne d’initiatives et de jeunes passionnés rêvant tous de devenir les prochains Steve Jobs ou Dave Morin du Continent. Quand bien même les Afro-Optimistes ont ces dix dernières années largement diffusé la caricature selon laquelle, l’on peut créer des emplois et des richesses rien qu’avec un ordinateur et une idée, la plupart des afrostartupers de première heure, commencent à toucher les limites d’un modèle providentiel, résultat d’un raccourci volontaire, qu’à l’instar des politiciens, les prêtres du numérique africain ont aux aurores diffusé en vue de capter toute l’attention médiatique d’un secteur à fort potentiel économique.
Avant tout amalgame, une startup est une entreprise, qui en particulier développe un produit ou un service innovant à coût final marginal (scalabilité), et recherche un modèle économique. Bien qu’elle présente des particularités, une startup est avant tout une jeune entreprise. Si l’on s’accorde à reconnaître qu’entreprendre en Afrique est quelque chose de périlleux, il est encore plus périlleux de monter une startup et le renier relève tout simplement d’un manque de réalité ou d’une méconnaissance du terrain de jeu commun.
Après le vent des annonces médiatiques sur bon nombre de journaux en passe d’audience en Afrique (Le Monde, Forbes, Jeune Afrique), très peu de startups réussissent en Afrique. Bien qu’une certaine fierté africaine veuille bien citer en icône Jumia, très peu de réussites commerciales nées de startups existent sur le continent: le CardioPad d’Arthur Zang n’a pas encore connu d’industrialisation, LorBouor en Côte d’Ivoire se cherche encore des clients, SocialSpot de Bacely Yorobi n’a pas encore vu le jour, SisiLèko au Bénin n’a pas encore révolutionné la gestion des déchets, Jesse Moore fondateur de Mkopa, qui vient de lever 19Millions US$ est canadien, Jumia a dû se faire renflouer par sa maison mère fin décembre 2013 et Verone Mankou ne publie pas ses chiffres. Pour permettre à la jeunesse africaine aux rêves fous, engagée à résoudre les problèmes de l’Afrique, de réaliser pleinement son potentiel, il faudra apporter quelques solutions aux problèmes classiques des entrepreneurs.
1- Renforcer la formation
L’économie numérique est aussi et surtout l’économie des talents. Le premier actif des GAFA est leur patrimoine humain et immatériel et ceci est de plus en plus vrai au sein de toutes les compagnies d’innovation numérique.
Trop peu de ressources humaines compétentes existent dans le domaine du numérique sur un continent où les plus grands investisseurs dans la formation des jeunes sont malheureusement des multinationales telles que Google, Oracle, Microsoft à travers les Developers Group, des organisations non gouvernementales à l’instar de JCertif International, ou des initiatives telles l’Africa Code Week de SAP, Simplon & Co.
Cette formation doit désormais dépasser le seul domaine des compétences en programmation informatique mais aussi s’étendre aux compétences nécessaires au développement d’une entreprise que sont le marketing, les études de marché, la gestion d’équipe, le business development car monter une startup c’est monter une entreprise.
Bonus
- Introduire un compte-temps de formation au numérique pour toute l’administration et faire de la possession d’un Certificat Informatique & Internet une condition à toute nouvelle progression/admission dans l’administration publique.
- Initier la mutation de l’administration du logiciel de bureautique commercial vers l’Open Source
2- Développer des lieux d’innovation et promouvoir l’accompagnement des porteurs de projet
La collaboration ouverte active la créativité et booste l’invention. Cette invention doit être accompagnée, structurée dans un dispositif qui l’oriente vers les besoins du marché, les clients qui peuvent payer et ceux pour quoi ils sont prêt à payer. Le iHub à Nairobi, le Woelab à Lomé, Akendewa à Abidjan, SolidarIT à Cotonou, et les espaces de coworking Jokkolabs à Dakar, Ouagadougou, Cotonou, demeurent des ilôts d’innovation dans leurs pays respectifs et ne peuvent à eux seuls satisfaire le besoin croissant d’espaces offrant une infrastructure correcte et une structuration-accompagnement.
3- Développer le paiement mobile
Si créer c’est bien, vendre c’est encore mieux. La problématique du paiement à distance reste un goulot d’étranglement dans plusieurs pays d’Afrique (avec un faible taux de bancarisation de 11% environ) et fait partie des facteurs qui découragent très fortement l’engouement des jeunes pour l’innovation numérique et limitent le potentiel des startups africaines car il est absolument impensable de faire payer physiquement des services et produits délivrés virtuellement ou à distance quand la réduction des coûts fait partie des leitmotiv premiers de telles entreprises.
Créer un marché de consommateurs du numérique, et renforcer la confiance est indispensable pour le développement des startups numériques propres à l’Afrique. Si le téléphone a pu rentrer de manière aisée dans les moeurs c’est surtout et d’abord parce qu’il nécessite un niveau d’alphabétisation assez faible. Ce qui n’est pas le cas des applications mobiles et web. Il importe de développer la confiance des utilisateurs dans le e-commerce via des dispositifs législatifs et réglementaires adéquats, et actionner le levier de l’open source pour rendre le numérique accessible en termes de formation au plus grand nombre. Développer in fine la culture du service numérique qui transformera le citoyen d’aujourd’hui en consommateur virtuel de demain.
4- Régler la question du financement des startups
Les startups en Afrique comme ailleurs ont un cycle de développement produit assez long, qui nécessite des investissements sur la durée après avoir trouvé une idée géniale ou identifier une niche particulière. La plupart des créateurs de startups sont souvent sans moyen pour soutenir le temps nécessaire à la création de leur produit ou de leur service mais aussi les investissements connexes en termes d’infrastructures, de démarches administratives. Mieux, il leur est difficile d’accéder au marché de l’emprunt classique car, en raison de leur condition (manques d’expérience et/ou de garantie ), ils ne rentrent pas dans les cases prévues par les banquiers pour octroyer des prêts. C’est une utopie de penser que l’on peut développer la recherche et l’innovation sans financement durable et structurel. De nombreux pays l’ont si bien compris, à l’instar de la France qui a mis en place la Banque Publique d’investissement, qui non seulement finance les jeunes pousses françaises à fort potentiel d’innovation mais accompagne aussi leur développement à l’international.
La question du financement pose également d’autres problèmes sous-jacents. L’absence de financement entraîne une distorsion sur le marché global et handicape les jeunes innovateurs africains dans la compétition face à leurs homologues occidentaux. Pire, les innovateurs Africains sont obligés de se prostituer dans les concours d’innovation, où ils révèlent au monde entier ce qui n’est qu’une idée, et où leur propriété intellectuelle n’est pas souvent respectée. Le cas du Cardiopad est pour moi symptomatique en la matière.
Arthur Zang, jeune innovateur camerounais a créé un concept simple mais diablement efficace dans le suivi de pathologies cardiaques à distance et en zone rurale. Après avoir gagné bon nombre de prix d’innovation, il ne s’est pas encore développé au Cameroun ni à l’international. Dans le même temps, Capsule Technologie, une jeune pousse française explore la même idée depuis plusieurs années et vient non seulement d’effectuer une levée de fonds conséquente mais aussi et surtout de se faire racheter par Qualcomm le géant américain des puces électroniques. Car c’est bien aussi d’intelligence économique et de compétition mondiale qu’il s’agit.
Bonus
- Aider les banques et les organismes de financement à mieux comprendre l’investissement dans l’innovation technologique, à en apprécier les risques et à les financer
- Mettre en place un fonds public spécial de garantie pour les innovations des startups numériques
- Définir un statut spécial pour les startups qui s’investissent dans le numérique et une fiscalité adaptée
- Mettre en place des crédits d’impôts recherche pour les grandes entreprises qui co-financent des produits de recherche numérique avec les universités et un système de bonus/malus pour les y inciter
- Mettre en place des réductions d’impôts pour les business angels qui financeront des innovations technologiques
5- Faire réellement confiance à la jeunesse
Tout ceci est important mais il est plus que jamais utile de dénoncer le comportement antinomique de la majorité des pouvoirs africains. Sinon comment comprendre que l’on affirme vouloir développer l’économie numérique, les startups et l’entrepreneuriat des jeunes, si dans les textes et les comportements, l’accès à la commande publique leur est interdite.
Dans leur grande majorité, les gouvernements préfèrent généralement encore faire confiance aux compagnies étrangères en ce qui concerne l’innovation, au risque même de mettre en place des solutions inadaptées et ceci même dans les cas où les solutions proposées par les compagnies locales sont pertinentes.
Peut-on imaginer un instant Benin Télécoms gagner le marché du déploiement de la fibre optique en France ou aux Etats Unis même avec la dernière technologie de pointe ? La préférence nationale est une réalité en occident. La préférence étrangère ici est un fait qui décourage l’initiative des jeunes. Faire confiance à sa jeunesse et à ses potentialités ne se décrète pas.
L’Afro-Optimisme apporte l’énergie nécessaire à insuffler l’espoir que c’est possible en Afrique et par les Africains. A ses côtés, l’Afro-pessimisme permet de jeter la lumière sur les réalités d’un continent, terrain de chasse des majors occidentales, où la jeunesse est insuffisamment formée et, où parler du numérique semble être devenu un effet de mode. Une piqûre de rappel qui devrait pousser les dirigeants à prendre les mesures structurelles courageuses pour profiter du potentiel de cet immense vivier de jeunes en soutenant l’innovation et le développement de jeunes startups locales. C’est ce qu’il faut appeler de tous nos voeux.
Gilles Kounou,
CEO Open Si. Consultant en Innovation Numérique et Transformation Digitale