05 Leçons Pour 10 Ans De Carrière Dans Le Rap, Nasty Nesta Vous Raconte Tout

Il est 5 heures du mat’, nous sommes le 11 Mai.

Ce soir la jeunesse du monde entier va célébrer le 36ème anniversaire du départ de Robert Nesta Marley. Le muezzin appelle à la prière. Je fais un tour au pipi room et retourne me rallonger. Comme d’hab, je prends mon phone pour checker les messages sur mes réseaux sociaux. Tout va bien jusqu’ici… Et là, je tombe sur ce message « Nasty tu n’es qu’un chien » et plus loin « tu ne 7 pas que 7 un gayman ? ».

A ce moment, je pense “c’est donc ça la célébrité ?” . Un inconnu qui derrière son clavier vient m’insulter sur ma page Facebook, sans raison. Rien de neuf certes mais on ne s’y habitue jamais en vrai.

J’ai décidé, il y a un peu plus de 10 ans, de faire carrière dans la musique,

…pour faire kiffer les gens, transmettre des émotions. Pas forcément transmettre un message mais des émotions : de la motivation, de la mélancolie, de la joie, des rires. Mais, je n’ai pas signé pour ce genre de choses où le public sous prétexte qu’il est le “public” peut se lever et insulter à tout va. Bordel. Bref, passons !

On me connait sous le nom de Nasty Nesta ou Cotonou Boy.

Artiste Entrepreneur Bénino-Camerounais, amoureux de rap, de Rnb et de musique. J’ai toujours eu de la musique dans ma vie depuis le plus jeune âge. Maman était fan de Bob, de Kassav, de Goldman, d’Otis Redding. Papa jouait de la guitare et je l’accompagnais en chantant ses chansons.

Un pote, Salim, me fit découvrir le premier Idéal J, MC Solaar. En 1998, c’était le choc avec le rap français. Quand j’écoute le premier album d’Arsenik « Quelques gouttes suffisent ». En ce moment, je ne savais pas si c’était ce que je voulais faire, mais qu’est-ce que je kiffais !!!

J’ai décidé, il y a un peu plus de 10 ans, de faire carrière dans la musique.
J’ai décidé, il y a un peu plus de 10 ans, de faire carrière dans la musique. Credits : Nasty Nesta

Internat St François d’Assises de Porto Novo

Akim était le fournisseur des dernières K7 (les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre, lol) et de CD rap. La rencontre avec lui sera déterminante pour la suite de ma vie et le chemin que j’emprunterai. J’ai essayé de synthétiser les leçons que j’ai retenues jusque-là de mon parcours dans la musique. Elles peuvent servir à tout jeune artiste et pourront, j’espère, inspirer tous les jeunes, tout simplement parce qu’elles me servent également dans tout ce que j’entreprends.

Leçon numéro 1 : Ferme-la, écoute, observe, et surtout apprends. Entoure-toi de ceux qui ont la même vision que toi !

Akim aka Desmon était un interne comme moi mais en beaucoup plus agé. Il vient de Mantes-La-Jolie (France) et rappe en groupe avec d’autres mecs. J’assistais à leurs répétitions en rapportant des Yovo Doko, des bouteilles d’eau.  J’étais leur bon petit. Je kiffais leur attitude, comment ils écrivaient. Le fait de les voir faire me montrait que je pouvais le faire aussi. J’ai écrit mes premiers textes en secret. Je n’avais pas assez d’assurance ni trop de flow. “ Mais bon, ça ira “, me disais-je. J’apprenais silencieusement.

En 2001, fini l’internat. BEPC en poche, je débarque à Cotonou où je rencontre E-Ray, et plus tard S@m avec qui on forme le 5 ème élément et le Taka Crew. On fait notre première scène sur la toute première édition du HKH, et c’est le feu. Ovationnés par le public, les grands et les groupes confirmés de l’époque nous approchent. On sent que quelque chose se passe. On est tous fougueux et passionnés. S@m monte un studio duquel sortiront quelques uns gros hits de la musique Béninoise.

Credits : Mblinkfotos

Vous aurez beau avoir toute la logistique, tout le talent qu’il faut…

L’expérience avec le Taka crew a été la première expérience « professionnelle » dans le monde de la musique. L’une des plus enrichissantes également. Ce que j’en retiens est que nous aurions pu aller très loin ensemble, mais les egos, la jeunesse, l’absence d’objectifs communs à part le rêve lointain de réussir dans la musique nous ont plombés.

Nous étions pourtant très prometteurs et très structurés : Nous étions artistes, propriétaires de notre studio, nous avions également un département vidéo, web, et une team d’artistes solides : BMG YARI, MOONA, S@M, E-RAY, et moi-même. Personne n’avait en indépendant tous ces atouts mais vous aurez beau avoir toute la logistique, tout le talent qu’il faut; sans plan et sans maturité, il est difficile de faire avancer la machine.

Donc grosse gifle : le Taka Crew commence à connaitre des problèmes internes qui finiront par le noyer. Tant bien que mal, on essaye de sauver les meubles mais à un moment on laisse tomber. Nous n’avions pas la même vision. C’est à ce moment que j’ai une proposition de Diamant Noir : rejoindre le CCC. Et cette décision de voler avec le CCC a scellé le sort du Taka Crew et a peut être « sauvé » ma carrière. Je n’en saurai rien mais en tout cas, à cet instant c’était le meilleur choix que je pouvais faire pour ma carrière.

Leçon numéro 2 : Les Choix. Choisir c’est renoncer ; renoncer c’est grandir. 

La séparation avec mes compagnons du Taka Crew a été une chose très difficile à vivre à l’époque. Elle a affecté, quoi qu’on dise, nos relations en dehors de la musique avec S@m et Eray. En 2006, je croise Amir de Diamant Noir dans un avion. On échange les contacts, on discute, très bon feeling et tout. Il me recontacte quelques mois plus tard pour que je lui propose des prods pour « Nés pour Briller ». On part sur 2 instrus mais au fur et à mesure que l’album évolue, je suis de plus en plus impliqué dans le projet. Je viens vivre sur Paris chez Anouar (J’habitais à Orléans à l’époque).

Cette expérience m’a appris à concevoir un album, à réfléchir sur des thématiques, à trouver les bonnes musiques et à en faire un ensemble cohérent. Ça s’appelle la direction artistique. Je n’ai pas gagné des millions sur ce projet mais en termes d’expérience, ça n’avait pas de prix. Le choix de partir également m’a permis de me responsabiliser et de savoir que quand tu choisis de faire de la musique à un niveau professionnel, tu es SEUL, maître de tes choix et de leurs conséquences.

Donc nous arrivons en 2008 où je travaille sur mon premier album « Il le fallait ». Enfin. Je vais pouvoir présenter au public ma musique, ma vision des choses. J’ai écrit cet album dans un état d’esprit assez particulier. Il m’a permis de trouver mon style, entre l’humour et le plus sérieux. Tout est résumé dans ma chanson « Il le fallait » (faut aller écouter, lol, tu comprendras !).

Credits : Mblinkfotos

Le public l’accueille favorablement, c’est ainsi que je deviens officiellement Nasty Nesta

…et la suite appartient désormais à l’histoire. D’autres choix sont intervenus dans ma carrière, comme quitter une grande scène où Magic System ou Kassav (je m’en souviens plus vraiment) devait prester. Le CCC devait aussi passer sur scène. En attendant notre passage, on nous a demandé de quitter les loges, d’attendre dans le sable pour que les artistes internationaux soient installés. On s’est regardés et on s’est dit « FVCK ! ». On s’est tirés !

Sur les grands shows de ce genre, les artistes locaux sont sous payés et doivent « dégager » des loges parce que la star internationale vient. C’est inadmissible de traiter des artistes Béninois de la sorte au Bénin. Si nos collègues artistes ne disaient rien, nous, ça nous choquait de fou ! Et ça nous choquait encore plus qu’ils se plaignent entre nous mais se laissent faire…”C’est le pays qui est comme ça !” disaient ils. A l’époque, beaucoup de personnes ne comprenaient pas nos prises de positions et nous n’avions pas l’occasion d’en parler. Ce qui alimentait notre réputation sulfureuse. Ça nous a valu un boycott de plusieurs scènes mais je suis encore vivant pour le raconter, donc ça tue pas !

Cette anecdote pour dire : Tu peux avoir raison et faire un choix juste mais sur le moment personne ne te comprendra et on t’attaquera pour ça. On te boycottera même. Si ton choix est juste, et si tu continues à travailler, le temps te donnera raison. Pour la petite histoire, nous avons retravaillé quelques années plus tard dans de meilleures conditions avec les organisateurs de ce show, ça ne s’est encore pas bien terminé mais c’est pour d’autres raisons. Nous gardons néanmoins de bonnes relations avec eux.

Leçon numéro 3 : La réussite nécessite des sacrifices 

Quand ton album sort, tu espères qu’il va tout péter, que ta vie va changer du tout au tout, bah en fait…ce n’est pas totalement ça. Ta vie change, les regards changent sur toi, on te reconnait, tu te vois à la TV, on t’invite sur des shows, tu as droit aux honneurs. Presque tout est gratuit : l’alcool, les filles… C’est le bon côté des choses.

L’autre côté moins rose, c’est tout ce que tu perds en gagnant la notoriété. Le succès change les gens. Il m’a changé et rendu plus froid, plus méfiant ! Tous ceux qui ont gagné succès et notoriété peuvent te dire qu’en retour tu perdras. Beaucoup ou peu selon ton attachement à ce qui est perdu, mais tu perds.

Combien d’amis deviennent chelous, parce qu’ils estiment que tu as du succès maintenant donc ils supposent que ça t’est monté à la tête, ils estiment que c’est à toi de faire le premier pas pour venir à eux sinon c’est que « ça t’est monté à la tête » ; Ta copine qui ne comprend pas ce nouveau lifestyle, n’arrive pas à dealer avec les groupies ou les fans, ou les nuits en studio, les concerts alors qu’elle voudrait que tu viennes chiller avec elle et ses amis.

Il y a des histoires sur toi !

Le « Hate » et l’hypocrisie ambiante dans le showbiz. On se serre la main avec de grands sourires mais on ne s’aime pas au fond. La famille qui voyait jusque-là la musique comme un hobby a mal parce que les rumeurs les plus folles courent sur toi. Quand tu signes pour la musique sache que c’est pour ça aussi que tu signes. Eh ouais ! Il y a un monsieur d’un certain âge à qui un ami me présente fièrement un jour.

  • C’est NASTY NESTA un ami rappeur…
  •  Enchanté Monsieur…

Le monsieur m’invective direct sans ambages.

  • Ce n’est pas le fils de Me GBEDO ? Petit ta mère est une personnalité et tu fais les trucs de voyous là, tu vas m’arrêter ça ! Les enfants là vous êtes perdus ou quoi ?? 

Dans ma tête, j’étais like « WTF, tu me donnes à manger ? » mais mon éducation et son âge m’ont fait ravaler mes mots et j’ai me suis cassé oklmmmmm ! Donc tout ça pour dire qu’il faut être préparé à tout le temps se justifier, tout le temps prouver, accepter quand quelqu’un qui ne comprend pas ce dans quoi tu t’es embarqué, les trahisons, les provocations et garder ton objectif en tête.

Credits : Mblinkfotos

Leçon numéro 4 : Se remettre en question, se réinventer, ne jamais rien prendre pour acquis et accepter la concurrence (sinon elle s’imposera à toi de toutes les façons !)

La musique est un milieu très concurrentiel. Ton niveau n’est généralement pas évalué sur l’ensemble de tes œuvres, ni sur l’impact que ton travail a pu avoir sur la musique mais sur ton dernier morceau. Autrement dit, si tu te loupes sur ton dernier morceau ou si tu sors un morceau moins bon que les précédents, dans la tête du public, tu es fini. Et plus le temps passe (ça va faire plus de 10 ans de carrière), plus la critique est sévère parce qu’il y également une tendance à vouloir pousser à la porte les « anciens » comme on appelle les rappeurs de ma génération.

Quand tu as dix ans de carrière derrière toi et que tu estimes en avoir 10 au moins devant toi (vous ne pensiez pas que j’allais raccrocher quand même ! haha ! ) C’est délicat de dealer avec. Pourquoi ?

☝? La musique évolue, soit tu évolues avec elle soit tu restes sur la touche, bro’ : Il y a pas mal d’exemples d’artistes que je ne citerai pas, dont la carrière est au point mort aujourd’hui parce qu’ils n’ont pas su se remettre en question ou s’adapter à leur époque. Pourtant, c’est inévitable. Il faut s’y préparer pour l’affronter. La musique que mon public écoutait, il y a 10 ans n’est pas celle que ce public rap écoute aujourd’hui. Dans 10 ans, nous n’écouterons plus Young Thug. S’accrocher au « c’était mieux avant » c’est pour les vieux. Comme dirait l’autre « les vieilles personnes quittez !! ». Le rap est une musique à 90% de Jeunes.

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✌? Comment s’adapter en restant soi-même ? C’est une discussion que j’ai souvent avec Amir. Après 10 ans de monopole sur le rap game Béninois, le moment est venu où le public a changé et désire entendre autre chose. C’est très tentant de faire du Fanicko, du Vano, du Kiff No Beat ( j’ai beaucoup de respect pour ceux que j’ai cité), de l’ambiance, ou verser dans la tendance. Certains arrivent habilement à faire la reconversion mais ils sont rares. Dans la plupart des cas, ça fait peine à voir et les artistes ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes; courant après une gloire passée et révolue.

Credits : Nasty Nesta

Le plus dangereux dans tout ça, c’est l’entourage qui pousse l’artiste dans ce gouffre.

Si vos amis valident tout le temps ce que vous faites, c’est des mythos, changez d’amis ! Lol. Le challenge est donc là, et seuls les artistes qui peuvent se remettre en question et travailler pour s’adapter aux nouvelles tendances ou créer leurs propres tendances pourront s’en sortir.

Pour ma part, je vous avouerai que ces 3 dernières années, la musique m’a donné des maux de tête : entre la musique 9ja, les normes imposées par certains médias, l’arrivée de nouveaux artistes qui vont devenir à coup sûr des poids lourds de la musique localement ou sur le plan continental : la remise en question a été sévère !

Mais je suis persuadé d’une chose après avoir pris du recul et être retourné à la rencontre du public cette année : tant que tu fais de la bonne musique, il y aura des gens pour l’écouter et tu seras toujours bien accueilli sur scène, tu feras toujours tes chiffres et évoluera selon ton plan de carrière. Donc, je suis serein sur le futur. Cette période m’a permis de me réinventer et de revenir avec quelque chose qui surprendra tout le monde. C’est dans la difficulté que naissent les plus grandes idées, donc toute épreuve est bonne à traverser.

Si vos amis valident tout le temps ce que vous faites, c’est des mythos, changez d’amis ! Cliquez pour tweeter
Guys analyse everything that you wear, and if you are dressed in the same way twice, you are done. Nasty Nesta

Leçon numéro 5 : Les peurs sont le tombeau de nos rêves : Rêver grand et oser.

Le jour où j’ai signé mon premier deal de plusieurs millions avec Moov, j’étais content mais pas surpris. Je savais que ce jour viendrait. C’était normal pour moi. J’ai toujours su que j’aurais ma gueule sur des panneaux et des posters placardés en ville et que la zik me ferait gagner des thunes.

Quand tu travailles pour ça, il n’y a rien de plus normal. Donc ne soyez pas étonnés que dans quelques temps ,je représente le Bénin à je ne sais pas quel Award, ou si vous me voyez discuter et fumer un spliff avec Rihanna ou une autre sex symbol anglo-saxonne qui fait rêver le monde entier et surtout les enfants d’Afrique.

Je suis un Héros. La musique me fait me sentir comme un héros, et je me dois d’être un Héros pour tous ces enfants qui me regardent avec des yeux grands comme ça ! J’ai lu dans une biographie de James Brown la phrase suivante : « Les Héros permettent aux enfants perdus de croire en leurs rêves ». Je pense comme ça ! Si avec CCC on ne pensait pas être les meilleurs, on n’aurait pas pu traverser le temps jusque-là ! De notre génération, personne n’a eu autant d’impact que nous et il n’en reste aucun en activité! Et si je pense comme ça, je ne peux qu’élever mes standards, et je ne peux être jaloux de personne, ni me sentir inférieur ou en danger parce qu’aucun d’eux n’a ce que je vise et ne s’en rapproche même pas.

Bon, c’était mon quart d’heure d’ego trip mais c’est le moyen que j’ai développé pour ne pas me noyer ou être noyé par le show-biz et continuer à faire la musique que j’aime. Les Héros permettent aux enfants perdus de croire en leurs rêves. James Brown Cliquez pour tweeter

Credits : Nasty Nesta

La musique c’est ma vie. La musique c’est des rencontres, des expériences, des hauts, des bas que je n’échangerai pour rien au monde. Je remercie tous ceux que j’ai cité dans cet article, parce qu’ils ont tous joué un rôle dans ce que je suis et tous m’ont apporté des choses que l’argent ne peut pas acheter. Merci à IRAWO pour cette tribune. Et à tous les IRAWOS même si ça fait cliché de le dire « N’oubliez pas de rêver…mais surtout n’oubliez pas de vous réveiller pour les réaliser ».

Luv.

Daniel « Nasty Nesta » MALANGUE

 

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