A l’école on nous a enseigné les théorèmes de Pythagore et de Thalès (3e2, souffrance…), les principes philosophiques d’Aristote et de Platon. Mais si vous êtes à Arctivism ce 31 Mars, attendez-vous à certaines révélations. Comme par exemple, que ces savants et penseurs grecs ont puisé (certains parlent même de plagiat) une bonne partie de leur savoir en Afrique, dans l’Egypte Antique.
Ce samedi 31 Mars, le festival Arctivism célébrera et redonnera la parole 32 ans après son décès, au professeur Cheikh Anta Diop. Il est l’auteur de fabuleuses démonstrations qui replacent l’Afrique au centre de croyances, sciences et autres principes civilisationnels longtemps attribués à l’Occident.
A l’instar de ce grand homme, ils sont nombreux ces aînés qui ont dédié leur vie à redonner de la dignité au continent africain et son peuple. Mais leur œuvre et leur vision ne sont pas propagées et restent malheureusement méconnues de leurs descendants que nous sommes. A cela s’ajoute l’aliénation culturelle profonde, qui fait que les africains se retrouvent souvent étrangers à eux-mêmes. Tout cela explique certaines difficultés de l’Afrique aujourd’hui, surtout dans ses rapports inter-peuples et dans ceux avec l’Occident.
« A l’école, j’ai porté le signal. Une corne de bœuf que l’on accroche au cou des enfants pour les punir de parler l’ewe, leur langue » @elom20ce Share on XC’est cette prise de conscience qui a donné naissance en 2009 à Arctivism.
« Car la branche qui veut porter des fruits doit fréquenter ses racines »
Arctivism ! Si vous cherchez ce mot dans le dictionnaire vous ne le trouverez pas (encore). Arctivism est un néologisme, fruit des réflexions de jeunes artistes togolais avec à leur tête, le rappeur et activiste panafricain Elom 20ce.
« A l’université, avec quelques amis, nous avons constaté qu’on ne nous a pas enseigné la vie et le rôle que certaines braves personnes ont joué pour le bien être de l’Afrique. Des personnes qui ont réfléchi aux problèmes qui se posent encore à nous aujourd’hui ». A l’époque, on les prenait sûrement pour des rêveurs, tant leur ambition devait sembler farfelue. Mais leur volonté était ferme. « Il nous semblait fondamental de créer une université du peuple, pour étudier ces personnalités pour s’inspirer d’eux, et apprendre de leurs erreurs pour ne plus les commettre »
L’éducation, ou plutôt la rééducation de masse était pour eux la clé, la jeunesse leur cible, les anciens leur source et l’art leur vecteur.
Pour concrétiser l’idée de cette université pour et par le peuple, les « Asrafo* » comme ils se désignent, décidèrent de se servir de leur moyen d’expression favori : l’art. Ainsi naquit Arctivism, de la contraction des mots art et activisme, pour désigner l’engagement socio-politique véhiculé par l’art. Le tout porté par les Arctivistes, se décrivant comme des « fourmis légionnaires qui sans bruit bâtissent des édifices grands comme les pyramides ».
Aux yeux du monde ils n’étaient peut-être que des jeunes agités. Mais ils étaient indéniablement bourrés de talent et brûlaient d’une soif de s’imprégner de leur l’histoire. Ils n’avaient ni sponsor ni soutien quelconque, mais chacun mit la main à la pâte et le 31 Octobre 2009 à Lomé, eut lieu Arctivism chapitre 1. L’événement fut dédié à Thomas Sankara, et fut structuré en 3 parties :
1. Projection d’un documentaire sur le leader burkinabé 2. Discussion débat avec des invités 3. Puis spectacle mêlant diverses formes d’art : musique live, rap, slam, reggae, peinture, danse etc.. L’intention fondamentale était : mettre en valeur le patrimoine culturel africain et susciter un intérêt pour la pensée panafricaniste, tout en divertissant. Le pari fut gagné !
Et Arctivism fut répliqué… une vingtaine d’autres fois.
9 ans et 29 éditions plus tard, Arctivism s’est aujourd’hui positionné comme le rendez-vous biannuel d’une communauté sans cesse croissante de jeunes amoureux d’art et partageant la même vision : celle d’une Afrique unie et forte, riche de toutes ses diversités.
Le principe : chaque Arctivism est articulé autour de la vie et des actions d’une figure phare des luttes panafricanistes, issue du continent ou de sa diaspora, partant du principe fondamental que « C’est au bout de l’ancienne corde qu’on tisse la nouvelle ». Le format du triptyque a été définitivement adopté : projection d’un documentaire – débat avec invités, spécialistes d’une thématique – grand spectacle musique/danse/peinture/art oratoire.
Plusieurs Irawos du passé ont ainsi été célébrés et leurs pensées remises d’actualité. Patrice Lumumba, Norbert Zongo, Joseph Ki-Zerbo, Martin Luther King, Angela Davis, Fela Kuti, Nelson Mandela, Nina Simone, Aimé Césaire, Marcus Garvey et bien d’autres ont ainsi tour à tour repris vie.
Lomé au départ… Puis Dakar, Accra, Paris, Cotonou
Avant l’Hinterland, il n’y avait pas de Bénin, de Sénégal ou de Togo. Il y avait des peuples qui se déplaçaient, se visitaient en laissant des empreintes culturelles. C’est ce trait qu’Arctivism veut perpétuer aujourd’hui, en dépassant les frontières qui cloisonnent les peuples. Le concept qui a vu le jour à Lomé, s’est depuis déplacé à Ouagadougou, Cotonou, Accra, Kpalimé, Paris, Togoville, ou encore Dakar transportant la bonne nouvelle, celle de l’Ubuntu* et du Sankofa*.
Elom 20ce à ce propos dit s’appuyer sur une chose importante.
« L’art ! L’avantage de l’art c’est qu’il traverse les frontières, lesquelles se dressent contre l’idéologie des Etats-Unis d’Afrique, désirée par nos aînés, à l’instar de Kwame N’Krumah. D’ailleurs, l’un de mes plus grands rêves serait d’organiser une caravane qui circulerait à travers toute l’Afrique pour expliquer les fondements et la nécessité d’une véritable union africaine »
Cette nécessité de bâtir des ponts entre les nations, est l’une des motivations des organisateurs à se surpasser pour chaque édition. Ce qui n’est pas mince affaire, car bien que les attentes du public aillent crescendo, les soutiens à l’événement demeurent minimes, et c’est souvent sur fonds propres qu’il est financé. Mais le découragement est une chose qu’un Asrafo ignore n’est-ce pas ? « Chaque Arctivism nous permet de créer un espace de réflexion et d’échanges avec pour objectif de s’organiser pour ne plus agoniser ».
Ce que les dirigeants de nos Nations ne parviennent pas à accomplir, nous artistes, griots contemporains avons le devoir de le faire. Share on XAu fil du temps, l’événement prend de l’ampleur
D’éminentes personnalités n’hésitent pas à se déplacer de pays en pays pour y prendre part. Arctivism a ainsi accueilli entre autres l’économiste sénégalais Ndongo Sylla, l’historien martinico-béninois Amzat Boukari Yabara, le journaliste burundais David Gakunzi, Bruno Jaffré biographe de Thomas Sankara, le groupe de rap sénégalais Keur Gui etc…
Les performances artistiques toujours à la hauteur, l’ambiance « root » et sympathique, le décor, et même les vêtements (appelés armures ), permettent que le message plutôt chargé, passe de manière simple. « Il ne faut pas que le public se croit non plus sur les bancs de l’école… Comme dans les dessins animés, même lorsque c’est distrayant il y a toujours quelque chose à apprendre ».
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Néanmoins, les Arctivistes ont bien conscience qu’une journée seule ne suffira pas à apporter des solutions aux problèmes de nos sociétés.
« Notre Art se doit d’être accompagné d’actions. Avant d’être sculpteurs, musiciens, rappeurs, nous sommes citoyens. Et il est impératif que nous soyons là lorsque les situations sollicitent nos cerveaux ou nos bras »
Des activités parallèles se greffent donc au programme principal dans la lignée du thème de chaque édition. En Janvier 2017, Arctivism 28 mettait à l’honneur l’activiste afro-américaine Angela Davis et les femmes actrices des luttes d’émancipation. A cette occasion où étaient présents Akua Naru, Amzat Boukari-Yabara et l’écrivaine franco-camerounaise Léonora Miano, furent organisés une remise de dons et un concert au quartier des femmes de la prison civile de Lomé, des ateliers avec des classes de lycées, une conférence à l’Université de Lomé et un atelier avec les artistes féminines togolaises.
Arctivism c’est aussi un magazine collaboratif
Pour immortaliser l’événement, Asrafozine, un magazine disponible gratuitement en ligne, accompagne chaque édition. On y retrouve une biographie de la figure à l’honneur, un micro-trottoir, un coup de projecteur sur les artistes, un coup de gueule, une tribune libre, etc… Les contributeurs sont aussi bien des anonymes que des personnes connues. L’essentiel étant de former une chaîne solidaire dans laquelle « Each One Teach One » (Chacun apprend à/de l’autre).
Arctivism 30, édition chargée !
Après le chapitre 29 à Accra en Août 2017 qui célébrait Marcus Garvey, l’édition 30 fait escale dans la ville historique de Ouidah et est consacrée au professeur Cheikh Anta Diop. Historien, physicien, linguiste, homme politique, ce héros de l’histoire africaine reste pourtant peu connu de la jeunesse, pour qui il représenterait indéniablement une source d’inspiration. Car il y a énormément à puiser de son travail dédié à meilleure connaissance de la culture de l’Égypte antique et son imprégnation africaine, et de sa vision pour une Afrique unie, consciente de sa valeur et économiquement indépendante. L’objectif de cette édition est donc de prendre la suite de celui qui a consacré sa vie à nous restituer notre histoire.
Et quel meilleur endroit que Ouidah, espace central de la traite des Noirs, pour réaliser ce retour vers le passé ? Les activités se dérouleront au mythique Institut de Développement et d’Echanges Endogènes (IDEE) et les participants auront la chance d’échanger avec son directeur-fondateur le Professeur Honorat Aguessy, qui fut l’un des contemporains de Cheikh Anta Diop
Au programme :
- L’après-midi de samedi, une visite de la ville depuis la place des enchères où étaient sélectionnés et marqués les esclaves avant l’embarquement sur les bateaux négriers, à la porte du non-retour et au mémorial du souvenir, en passant par l’Arbre de l’oubli et l’Arbre du retour.
- Plus tard, auront lieu les activités proprement-dites, avec la projection du documentaire « Kemtiyu Cheick Anta Diop » de Ousmane William Mbaye, suivi d’échanges avec Honorat Aguessy et Mère Jah, éducatrice et fondatrice du CEVASTE et de EcoloJah.
- L’événement prendra fin avec le grand concert qui verra entre autres sur scène Kezita, Rock Arka’n, Elom 20ce, Sikota (Danse), Trez & Baby (Graffiti) du Togo, Kmal Radji du Bénin et Stevo and the Alostmen du Ghana.
Toutes les informations concernant la participation sont disponibles sur la page de l’événement.
Alors, rendez-vous pris ? 😉
* Asrafo : inspiré des « Asafo » guerriers traditionnels des peuples Fante de l’actuel Ghana, qui avaient la charge de défendre le peuple contre les menaces extérieures.
* Ubuntu : issu de langues bantou du sud de l’Afrique, ce terme est souvent lié au proverbe « Umuntu ngumuntu ngabantu » signifiant approximativement : « Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes ».
* Sankofa : ce mot akan dérive de « san » (revient), « ko » (va), « fa » (regarde, cherche, et prends). Le Sankofa représente un oiseau mythique qui vole vers l’avant, la tête tournée vers l’arrière avec un œuf (symbolisant le futur) dans son bec. Il nous enseigne que nous devons puiser dans nos racines pour mieux avancer.