Il y a un peu moins d’un an, j’ai fait la rencontre d’un jeune homme comme on n’en fait plus. Ce qui m’a impressionnée encore plus que son talent de dessinateur, c’est cet entêtement et cette détermination qui le caractérisent et qui déteignent sur tous les pans de sa vie. J’ai éprouvé une énorme fierté en écoutant son histoire et je veux vous la restituer fidèlement aujourd’hui. Parce que Gjimm Mokoo est bien la preuve que la valeur n’attend point le nombre des années, c’est la source d’inspiration qu’on attendait tous.
Là où tout a commencé
Mokoo a aujourd’hui 21 ans. C’est un jeune illustrateur béninois, amoureux du dessin depuis ses quatre ans. Ses années collège achèvent de le convaincre que dessiner est plus qu’un passe-temps pour lui. Elles auront d’ailleurs duré plus de temps que prévu, vu qu’il reprend quelques classes principalement à cause de cette obsession pour le dessin. En classe de cinquième, il rencontre des personnes qui partagent la même passion que lui. C’est dans ce petit cercle que juste pour s’amuser, il concevra ses premières planches de bandes dessinées.
En classe de seconde, il fait la connaissance d’un élève alors en terminale qui voit tout son potentiel et qui l’aide à décrocher de petits contrats. Mais le véritable déclic se produit deux ans plus tard, quand il reprend sa classe de 1ère. Il se résigne alors au fait que le dessin soit devenu sa raison d’être, qu’il n’y a aucune autre alternative pour lui.
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Les leçons ou la passion ?
Il redouble sa classe de 1ère, ses parents ne sont pas du tout satisfaits de ce piètre résultat. Alors sa mère s’entretient avec lui. Elle veut comprendre pourquoi c’est si difficile pour lui à l’école. Il a la franchise de lui avouer que le dessin occupe toutes ses pensées et que la passion qui le dévore n’est pas dirigée vers une jeune fille, mais plutôt à l’endroit de cet art. Comment pourrait-il se concentrer sur ses cours quand sa créativité le démange et le pousse à gribouiller sans cesse dans ses cahiers ? Sa mère lui fait alors une promesse : si tu obtiens ton bac, je te laisse vivre ta passion. Le deal est conclu. Gjimm Mokoo sait maintenant ce qu’il a à faire. Il aura ce baccalauréat et enfin, pourra se consacrer au dessin.
L’année de Terminale arrive très vite. Pour quelqu’un qui a passé la plupart de ses années collège à dessiner pendant les cours, c’est difficile de recommencer à être un élève « normal ». Ses enseignants se plaignent, ses camarades le jugent. Ça ne le touche pas plus que ça puisqu’il sait où il va. Et à moins de deux mois de l’examen national, il apprend que la 13ème édition du Prix International du Manga est sur le point de se tenir. Pour la première fois de sa vie, Gjimm Mokoo décide de se lancer, et se retrouve donc face à un dilemme.
Il déjoue les pronostics
C’était un risque à prendre. A deux mois de son baccalauréat, un autre élève aurait concentré son attention sur les révisions et les travaux dirigés. Un autre oui, mais pas Mokoo. Il se renseigne sur le concours et se lance dans l’aventure. Déterminé, il va aux cours en matinée et saute les après-midis dédiés aux TDs pour travailler en paix sur la bande dessinée qu’il va présenter. Il n’a pas encore fini de cotiser pour se prendre sa première tablette graphique, il n’a pas de pc. A un moment, il est carrément obligé de colorier avec son portable de l’époque, un Tecno W9. Il fait le nécessaire et bosse parfois sur le storyboard en plein cours et durant la nuit. Enfin, il termine Migrant, son premier bébé et soumet sa candidature à l’Ambassade du Japon.
Il passe son examen, le décroche et déjoue les pronostics. On le contacte quelques semaines plus tard pour lui annoncer que son manga a décroché le prix de bronze de la 13ème édition du Prix International du Manga. Il n’est pas plus heureux que ça. Il voulait la première place mais c’est un bon début. D’ailleurs, tout décolle vraiment après cette nomination.
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Les expériences s’enchaînent
Après son Bac il suit une formation enrichissante à Ouidah : Du Dessin Animé à Ouidah. Il découvre qu’en plus de la bande dessinée, il est aussi un passionné de l’illustration, une autre branche du dessin qui consiste à dessiner sur la base de thèmes particuliers. Gjimm Mokoo se fait connaitre et apprend à faire valoir son talent. Il réalise la couverture du magazine BENI de l’Ambassade du Japon près le Bénin et travaille sur plusieurs autres projets. Dans le cadre du programme Résistances 2020, il est contacté par l’AAD- Fund pour réaliser la bande dessinée Les Chroniques d’Abomey . Puis en Mars 2020, il rejoint l’équipe de l’Atelierpaon en tant qu’illustrateur.
« Le plus difficile, c’est de décider d’agir. Le reste ne tient qu’à la persévérance »
Remporter le prix de bronze de la 13ème édition du Prix International du Manga aura ouvert des portes à Gjimm Mokoo. Mais il a fallu tenir le rythme, changer quelques fois de peau afin de s’adapter aux réalités du métier et enfin trouver ses marques et se positionner dans ses domaines de prédilection. Bosser en freelance lui aura appris beaucoup de choses :
- Gérer efficacement son temps : « Tu prends des tonnes de commandes, tu es zen, tu es ton propre patron. Mais tu te retrouves très vite submergé à cause de ton manque de discipline »
- Délayer le gari 5jr/7: « Quand on bosse en freelance, les rentrées d’argent sont inconstantes. Des fois tu as de l’argent, d’autres fois tu n’en as pas »
- Privilégier sa santé: « Je n’accepte de bosser que sur des projets qui à la longue ne m’useront pas la santé »
- Respecter son travail: « Aujourd’hui, je suis prêt à décliner des offres lorsque le client n’est pas en mesure de payer ce que je lui demande pour le travail qu’il attend de moi »
Son expérience ne s’arrête pas là. Une fois qu’il intègre l’Atelierpaon il acquiert la discipline qui lui faisait défaut, il s’exerce tous les jours et trouve un certain équilibre entre freelancing et travail en agence.
"Aujourd'hui, je suis prêt à décliner des offres lorsque le client n'est pas en mesure de payer ce que je lui demande pour le travail qu'il attend de moi" – Gjimm Mokoo Share on XLe talent est rentable
"Si tu es bon, tu pourras indéniablement monétiser ton talent" – Gjimm Mokoo Share on XOn lui a martelé toute sa vie que le dessin n’était pas une porte de sortie. Selon Mokoo, c’est l’ignorance qui pousse à penser que l’art ne peut pas nourrir son homme. Tant qu’une personne est douée et qu’elle travaille à aiguiser son talent, il n’y a aucune raison pour qu’elle ne puisse pas en faire son gagne-pain. Des artistes tels que Tchif, Dominique Zinkpè et Ken Ahossan en sont la preuve. L’expérience prouve à Mokoo que tous ses déboires du passé ont contribué à le mener à sa position actuelle. Au Mokoo des débuts, il dirait : « Qu’il fait bien d’être déterminé et entêté, qu’il fait bien de prendre des risques et qu’il a raison de les assumer ». Un conseil valable pour tout le monde.
De plus, il insiste sur le fait qu’il faut savoir que les relations humaines sont plus importantes que l’argent. Il faut se lier aux bonnes personnes qui vont quant à elles recommander votre travail. Et cela nécessite de :
- Se former et beaucoup s’exercer pour rendre un travail impeccable : YouTube, plateformes de cours en ligne, centre de formation
- Respecter ses engagements : respecter les recommandations du client, s’en tenir au tarif qui a été retenu par les deux parties
- Demeurer intransigeant sur le prix de son travail : Oublier les tarifs d’amis et de famille
- Avoir son truc à soi, une empreinte et une touche particulière : Donner du cachet à son talent, être reconnaissable entre mille.
Et l’écolier dissipé devint un artiste confirmé
Aujourd’hui bédéiste et animateur 2D, Gjimm Mokoo vit de sa passion pour le dessin. Il en est arrivé là avec en poches son Bac A2. Bac qu’on lui prédisait qu’il n’aurait jamais. Ses ambitions pour lui-même et pour son pays le Bénin sont énormes. D’ailleurs, il dit n’en être qu’à 10% de ses capacités. Ses objectifs d’ici 15 ans :
- Se faire former et acquérir le plus de compétences possibles dans les domaines de la bande dessinée, du design, de l’illustration et de l’animation
- Se faire un nom dans le domaine du dessin en général
- Représenter et exporter la culture béninoise à travers ses productions
- Être un acteur impliqué dans la réalisation de bande dessinées et de films d’animation et de séries en Afrique.
- Mettre en place des structures pour aider les jeunes talents artistique du Bénin à trouver leurs voie.
- Donner vie aux nombreux projets personnels qui fourmillent dans son esprit
Tout ce qu’il y a à faire, c’est avancer et continuer de se battre. Je ne suis pas pressé. Je prendrais mon temps pour bien faire les choses.
Gjimm Mokoo
En attendant que Gjimm Mokoo ne s’accomplisse entièrement, c’est un plaisir de se délecter de ce qu’il a déjà réussi à accomplir du haut de ses 21 piges, grâce à sa passion et son entêtement.
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