En Afrique noire, nommer c’est appeler à l’existence. Plus qu’un symbole d’identification, le prénom est l’un des premiers éléments utilisé pour constituer et affirmer notre personnalité. Du premier au dernier jour de notre vie, il sera utilisé pour nous désigner en une constante répétition. Certains y voient le réceptacle d’une énergie et le considèrent inhérent au patrimoine culturel d’un peuple. Certains, comme les fils et filles Yoruba qui ont propulsé la plateforme, Yoruba Names avec en tête de file Kola Tubosun.
Kevin ou Koffi ?
Personnellement je considère le prénom comme le premier cadeau que la famille au nouveau-né. Des fois il porte la marque de la culture, d’une histoire, d’un événement. D’autres fois c’est le désir de rendre hommage ou encore l’expression d’un vœu. Mais invariablement, il porte l’empreinte de l’amour. En Afrique, malgré l’importance qu’ils revêtaient jadis, les prénoms authentiques se font de plus en plus rares. Héritage colonial et besoin d’occidentalisation obligent, Kevin sonne désormais plus cool que Koffi, et une Céline à l’école, c’est bien plus « in » qu’une Salima.
Cependant, un fils d’Afrique et de la communauté Yoruba n’entendait pas les choses de cette manière.
« Yoruba : my tribe and my choice »
Linguiste, écrivain, et activiste culturel nigérian, Kola Tubosun a toujours accordé une place de choix à sa langue. Aussi digne et belle que tout ce qu’elle offrait, à l’instar des prénoms aux sens profonds.
Son ambition était de préserver les diverses identités africaines en documentant sur Internet leurs différentes expressions. Clairement pas une initiative de faible envergure donc. Mais Kola ne s’est pas précipité. Il savait ce qu’il voulait, et surtout qu’il fallait y aller un pas après l’autre. Il choisit de commencer par le sujet qu’il maîtrisait le mieux : la langue, et en particulier la sienne.
Nom de code : Yoruba Names
Pour son premier projet, il partit sur une idée de base plutôt simple : collectionner et documenter les prénoms Yoruba sous la forme d’un dictionnaire multimédia en ligne. A l’origine sujet de thèse en 2005, Kola Tubosun projet Yoruba Names a finalement vu le jour en 2016. Seul au départ, il n’a pas hésité à commencer avec le peu dont il disposait. En l’occurence, il n’y est pas allé de main morte ! Bien qu’il ne possédât ni le financement ni toutes les compétences requises, l’audace et la foi étaient sa botte secrète.
« J’ai envoyé des mails à toute ma liste de contacts -amis, famille, rencontres… Et les gens étaient plutôt gentils. Il semblait aimer l’idée. Dès la première semaine du projet, j’ai commencé à rassembler tous les noms que je connaissais, que je trouvais dans les journaux, à la radio, partout ».
Une belle campagne de crowdfunding plus tard avec au passage plus de 5000$ récoltés, l’idée est passée en phase de réalisation. Parallèlement, le projet a emballé des volontaires de par le monde, qui ont gracieusement offert de leur expertise pour soutenir le projet. Leçon du jour :
Quand vous partez de zéro, faites de la foi et de l'audace vos compagnons de route Share on XAujourd’hui, Yoruba Name compte plus de 6000 entrées
… et l’équipe s’est élargie à une dizaine de personnes. Chaque prénom est largement documenté. Vous retrouverez entre autres la signification, l’étymologie, la prononciation audio, les variantes et même des célébrités qui portent ce nom. La plateforme est également participative. Les utilisateurs peuvent donc contribuer en ajoutant à l’index des informations absentes ou en corrigeant celles qui semblent incorrectes.
Destination: Valorisation, pérennisation et « tech-isation » le Yoruba
En accord avec la mission de base, plusieurs autres projets sont planifiés. Un dictionnaire Yoruba complet en ligne, la traduction de Twitter en Yoruba, ou encore TTS Yoruba. Avec Text-To-Speech Yoruba, l’équipe s’attaque au domaine de l’intelligence artificielle et de la conversion écrit-audio. Ceci pour à terme aboutir à des services tech dans la langue. Comme une version Yoruba de Siri par exemple. Une telle avancée serait utile sur plusieurs volets. D’une part, en permettant à monsieur et madame tout-le-monde de « converser avec la technologie » dans sa langue maternelle.
« Si une femme du marché peut utiliser un guichet automatique dans sa langue locale, cela lui donne beaucoup plus de possibilités. Et si elle peut commander son téléphone en Yoruba, c’est un bond en avant ».
Car pour Kola Tubosun il n’est pas acceptable, qu’une personne qui ne parle pas les langues officielles des outils technologiques, ne puissent pas en bénéficier. « Les langues africaines ont été laissées de côté pendant trop longtemps dans les conversations mondiales sur la technologie. Cela m’a toujours dérangé ».
Siri existe en danois, finnois et norvégien, trois langues qui, combinées et multipliées par deux, ne sont pas aussi largement parlées que le Yoruba (30M de personnes). Pourquoi? - @kolatubosun Share on XD’autre part, TTS Yoruba, servira d’outil-guide efficace pour se perfectionner dans la langue. Tout comme avec les applications pour apprendre les langues africaines, une certaine pérennité est assurée. Car lorsqu’elle n’est pas conservée à travers des écrits et documentations adéquats, une langue finit inexorablement pas s’éteindre.
L'une des façons d'empêcher une langue d'être mise en danger est non seulement de la parler à nos enfants, mais également de l'adapter aux changements, en l'occurrence à la technologie - @kolatubosun Share on XPlus de ligne rouge sous nos noms !
L’un des bénéfices du combat, non des moindres est également le fait d’inspirer d’autres communautés à lancer des initiatives semblables. Pour qu’au final, les langues africaines ne soient plus qualifiées de vernaculaires mais reprennent la place qui leur est due. La vision globale de l’équipe est d’amorcer une révolution, pour changer la façon accessoire dont nos langues locales sont perçues.
« Notre intention est de nous assurer que les langues africaines sont représentées et que les technologies de communication sont adap tables à nos propres langues. Vous devriez être capable de taper un nom Yoruba dans Microsoft Word, et ne pas avoir une ligne rouge sous votre saisie.»