Tout ça, c’est la faute à Guy Mapoko ! The dirty Voice ! S’il n’avait pas fait cette éblouissante interprétation de Lucille, la célèbre chanson de Little Richard, à The Voice Canada. Non, c’est plutôt la faute à cette Lucille, je ne sais quoi ! Non! C’est le jury ! S’il ne s’était pas retourné aux premières notes de cette belle voix rauque ! S’il n’avait pas dit « Moi, je te veux » Guy Mapoko !
Ou encore à Axel Merryl ! C’est lui qui a fait cette vidéo où il dit :
» Quand les tontons chantent aux mariages, vous ne pouvez pas taper des mains. Maintenant que le gars mets le feu au Canada, vous mettez oui, tu as du talent. Mais c’est vous les talentueurs. Vous tuez les talents des gens. «
Le populaire Youtuber béninois fustige ce qu’il appelle la vraie sorcellerie d’Afrique, cette tendance à ne reconnaitre un talent de chez nous que lorsqu’il est plébiscité à l’étranger. La faute revient peut-être à Gyovanni, un autre talent musical, actuellement au Berklee College of Music. Il a pris au rebond la balle d’Axel pour créer un débat général dont se sont mêlés Amir Alli de Diamant Noir, Kmal Radji et tutti quanti.
Pourquoi a-t-on l’impression que les talents ne sont pas soutenus dans leurs pays ? Qu’ils ne sont pas soutenus du tout ? Qu’ils doivent percer dehors pour que leurs compatriotes reconnaissent leur talent ? Est-ce que cette polémique ne se trompe t-elle pas de cible ?
1- Savoir se vendre
Comment soutenir ce que vous ne connaissez pas? En 2008, la chanson Bada, des frères KoudAkol dont Guy Mapoko faisait partie, avait eu un retentissant succès au Bénin et dans la sous-région, se retrouvant dans la bouche de toutes les générations. Juste la mélodie fait encore frissonner plus d’un Béninois. Mais avant cette vidéo de The Voice, plus personne n’avait des nouvelles des Frères KoudAkol. Si Guy avait chanté cette version de Lucille et l’avait postée sur YouTube, beaucoup n’auraient pas attendu The Voice pour l’écouter et partager son talent.
Cela peut sembler choquant d’analyser la situation sous ce prisme mais l’artiste doit apprendre à faire sa promotion. Ce que The Voice a apporté à Guy Mapoko, ce n’est pas de la reconnaissance mais une tribune et un audimat. The Voice a mis le talent de Guy Mapoko devant les yeux et les oreilles de millions de potentiels consommateurs.
Le vrai problème c’est que les talents ne savent pas se promouvoir et même quand ils y arrivent (quasiment par chance), ils ne savent pas en faire quelque chose de rentable et durable.
Nous sommes à une ère où tous les tonneaux doivent faire du bruit pour se faire entendre. Rien n’arrive à celui qui croise les jambes chez lui encore moins à celui chante dans sa douche. Il faut aller vers le consommateur ! Comment puis-je soutenir quelqu’un dont je n’ai jamais entendu parler ? Votre produit doit être mis à la connaissance du public et de la manière la plus alléchante qui soit. Du contenu, de la régularité et une bonne présentation et les réseaux sociaux vous seront acquis. Vous devez donner envie. Que vous soyez écrivain, chanteur, business man, styliste ou juste un créatif, vous cessez d’être un artiste quand vous finissez de créer votre produit. Parce que ce produit, il faut le vendre. Vous avez besoin de deux casquettes: celui de l’artiste et celui du vendeur. Si les gens n’achètent pas votre produit, c’est de votre faute. C’est une question de marketing !
2- Comment les gens peuvent vous soutenir ?
Quel type de soutien attendez-vous de votre public ? Dire que les gens ne vous soutiennent pas est une plainte vague. Doivent-ils acheter ? Liker ? Partager ? Financer ? Vous devez guider votre public par un appel à l’action. Si vous êtes un artiste, votre page Facebook doit indiquer la manière la plus simple d’acheter votre album, de venir à votre concert ou d’ecouter votre musique.
Vous devez mettre votre produit à la disposition du public ! Comment soutenir si tu ne connais pas ? Comment demander s’il n’y a pas d’offre ? Et comment avoir accès à l’offre si elle est inaccessible ? Qu’est censé faire un mélomane qui entend votre musique dans la rue, à la télé ou à la radio ? Que peut-il faire à part fredonner ? Sait-il si vous avez un album disponible et où ? Doit-il parcourir ciel et terre pour vous retrouver ? De même qu’il faut trouver un moyen pour que le public vous soutienne, Il est aussi important de simplifier le processus de soutien. Le fan n’a pas à se tracasser pour effectuer l’acte qui constituerait un soutien pour vous.
3- Pourquoi les médias étrangers consacrent nos talents ?
Dépouillés de toute passion, nous devons reconnaître que l’audimat de nos chaines locales est nettement inférieur aux médias étrangers qui eux, disposent d’un public international, cosmopolite et d’une crédibilité acquise grâce à des années de travail. Il ne s’agit pas forcément du complexe du Blanc.
Par ailleurs, c’est un événement unique de voir l’un des siens sur ces médias étrangers. Un Béninois à The Voice Canada, c’est exceptionnel ! Share on X Mais un Béninois sur ORTB, une chaine qu’on aurait parfois aimé ne jamais avoir à regarder, c’est la routine ! La plupart des médias traditionnels locaux ne sont que des choix par défaut pour beaucoup de citoyens. On les allume parce qu’on n’a pas le choix ! Ces télés n’ont souvent pas de programmes qui nous intéressent. Ils sont coincés dans des chartes graphiques de l’époque de Simon Papa Tara, dans des journaux télévisés sans dynamisme, une qualité visuelle horrible et tous ces défauts qui en font de très mauvais canaux publicitaires. Les chaines qu’on regarde quand on est fatigué ou quand on n’a vraiment pas du tout le choix ne sont pas le meilleur moyen de promotion d’un artiste. ( IrawoTv n’est pas de ce lot, hein ?)
Est-ce de mon devoir de consommateur de me promener dans toutes les familles du Benin pour chercher les talents ? N’est-ce pas aux talents de venir vers moi ? Ce n’est pas au public d’aller chercher les talents. Share on XC’est aux talents de montrer leur produit à travers les médias. Et aux médias de savoir les vendre. Il y a donc ainsi une grande part de responsabilité de nos médias. TraceTv c’est joli à regarder, hein. ORTB par contre, c’est une autre affaire.
4- La sournoiserie du public est un mythe
Selon beaucoup de commentaires dont la vidéo d’Axel Merryl, le public béninois serait plus sournois. Je suis sûre que les Ivoiriens diraient la même chose de leur public, que les Togolais en diraient de même, que les Guinéens également. Quand tu fais quelque chose de bien, il y aura toujours beaucoup de personnes qui aimeront et beaucoup d’autres qui n’aimeront pas. Et quand tu ne fais rien de bien, c’est pire. C’est une loi universelle et naturelle.
Si le public ne te soutient pas du tout, pose-toi des questions sur ton produit. Revois sa présentation et son contenu, il y a forcément quelque chose qui cloche.
En outre, ceux qui vous soutiennent ne le montrent toujours pas publiquement. Entre nous, il y a des gens qui liront cet article mais ne le partageront jamais. Prenons tout simplement le clip Hello d’Adele. Il y a bientôt deux milliard de vues mais vous n’y verrez que 11 millions de likes et 790 000 commentaires. le pourcentage de gens qui aiment et partagent est toujours très faible. Le taux d’engagement est un combat de tout marketer. Share on X
5- Le communautarisme n’est pas un argument
Ce n’est pas parce que vous êtes Béninois qu’on doit forcément vous soutenir. C’est un facteur de choix mais il ne déterminera pas totalement la réaction du consommateur. Les artistes doivent apprendre a fédérer une communauté de fans, de personnes qui les soutiennent. Les vrais fans sont des gens qui savent quoi faire pour les soutenir, qui sont en réseau avec d’autres fans, qui reçoivent régulièrement de l’information de l’artiste, qui se sentent privilégiés. Si tu ne fais pas du mainstream et qu’en moyenne 1/1000 de la population mondiale écoute ton style de musique, ne t’étonne pas d’avoir des centaines de milliers de fans ailleurs et rien que 10.000 fans au Bénin. Si tout le monde soutenait les produits de son pays, le Bénin n’irait pas loin avec une population de 11 millions d’habitants, dont 59,9% gagne moins de 2000 F CFA par jour ( environ 1,90 $; source: UNDP ).
Vous connaissez tous ce cousin fainéant qui vous oblige à l’aider en mode “on est de la même famille, il faut se soutenir entre membres de la famille” ? Eh bien, ne soyez pas comme lui !
D’autre part, si chacun payait les produits de son terroir, personne n’aurait de renommée internationale. Peu de choses s’exporteraient et…s’importeraient. Reconnaissons également que le marché béninois, l’audience béninoise sont extrêmement petits. Et encore plus petits parce que la taille de votre cible est réduite par l’accessibilité, le pouvoir d’achat, l’intérêt, l’âge. Vous ne saurez vous nourrir uniquement de ce public. Vous avez besoin de vous extrapoler, de conquérir d’autres cieux, d’autres nationalités, d’autres terres. Une star c’est une chose que tout le monde peut voir, dont tout le monde parle, que tout le monde connait. Et tout le monde, ça ne peut pas être le Bénin tout seul.
6- Si le système est contre vous, contournez-le.
Je vois d’ici vos arguments. Les chanteurs diront que les médias ne passent pas les bons musiciens. Les entrepreneurs diront que les supermarchés les snobent. D’autres le gouvernement leur fait des communiqués à la con. Les écrivains diront que les maisons d’éditions les rejettent. Qu’il n’y a pas de financement de l’Etat, qu’il n’y a de financement des banques, que les journaux parlent des mauvaises personnes et patata ! Oui, tout ça est vrai. Tout ça est réel.
Si le système est contre vous, hackez-le ! Share on X
Non, vous ne délirez pas. Elle est vraiment en train de vous demander de faire l’impossible. Si les supermarchés vous snobent, allez chez les vendeuses de quartier. Si les télés vous snobent, créez une page Facebook ! Diffusez simplement vos petites chansons, vos covers sur Youtube ! Si les sponsors vous snobent, prenez-votre guitare et chantez quand même ! Si les magasins ne veulent de vos modèles, vendez-les à vos amis ! Si vous ne pouvez pas louer une boutique, livrez à domicile, vendez depuis chez vous ou faites un e-shop ! Si les maisons d’éditions vous snobent, internet ne vous snobera pas ! Créez un blog ou partagez vos statuts ! Vendez vous !
Il est vrai qu’il est aussi de la responsabilité d’aider les jeunes, de mettre en place des structures pour détecter les talents et leur donner l’occasion de s’exprimer. Mais vous savez très bien que nos Etats sont pauvres. Et vous savez aussi que le Bénin est pauvre parce que nous ses habitants le sommes. La caisse de l’Etat ce sont nos impôts ! Et même s’il n’y avait pas de détournements ni de mauvaise gestion, il serait difficile d’espérer quelque chose de lui.
C’est à nous de créer nos “grands” labels de production, de créer des “Oscars” crédibles, de créer des médias révolutionnaires, des salles de spectacles, des écoles de danses, des lobbys, de nouvelles mentalités, de meilleures musiques !
Si l’Etat est pauvre, tous les citoyens doivent se débrouiller. On n’attendra pas que l’Etat se bouge les ? !
Quand le monde te persécute, tu te dois de persécuter le monde.
Le roi lion, Timon.
7- Le dernier mot
Angelique Kidjo est partie. Djimon Houssou est parti. Mais même avec tout l’argent du Benin, Dijmon Houssou n’aurait pu avoir le succès qu’il a aujourd’hui. Des talents rencontrent du succès une fois en dehors du pays parce qu’un jour quelqu’un leur a fourni un micro, une guitare, des caméras, la chance de s’exprimer.
Si vous voulez aussi donner votre chance à un jeune talent, si vous pouvez, si vous croyez en lui, faites-le !
Combien d’Africains ont attendu des médias étrangers pour regarder par exemple les vidéos d’Axel Merryl ? C’est un public né de ses proches amis, des amis de ses amis et d’inconnus qui tombaient sur ses vidéos qui l’a propulsé et en a si bien parlé qu’un buzz est né. Et c’est de ce buzz que des médias l’ont l’interviewé et ont ainsi pu le montrer à un plus grand public. Pensez-vous vraiment que le Béninois, le compatriote, ne soutient pas du tout ? Alors pas du tout, du tout ? Que personne n’a jamais fredonné une seule de vos chansons ? Partagé un seul de vos articles ? Liker une seule de vos vidéos ? Commenté un seul de vos statuts ? Acheté un de vos albums ? Blague à part, c’est un autre problème qui nous turlupine.
Soyons sincères une fois de plus. Je pense que quand on dépouille la polémique de toutes ces “variables”, les artistes veulent de la reconnaissance. Ce que nous voulons vraiment, c’est être quelqu’un dans notre propre bled. Qu’on nous traite avec plus de respect. Ce n’est parce que nous sommes jeunes et en jeans, simples ou à zem, trop courts ou accessibles que nous ne méritons pas plus de considération. Etre traité comme quelqu’un d’important est un des désirs les plus triviaux de l'ego. Share on X
Cependant, faut-il que tout le monde soit à nos pieds ? Nos stars locales rencontrent des dizaines de Béninois chaque jour, n’y a-t-il pas au moins un seul par jour qui leur témoigne de la reconnaissance ? Cela ne suffit-il pas ? Est-ce que nous témoignons du respect à tous les Béninois que nous rencontrons tous les jours ?
C’est très facile d’ignorer la reconnaissance de ton frère ou de ton voisin, qui t’admire et de penser que celle d’un Européen qui ne te côtoie pas tous les jours, a plus de valeur.
Si tu as trouvé cet article trop long, ? c’est la faute à Guy Mapoko et à son fou talent que tu peux soutenir ici, à Gyovanni que tu peux soutenir ici , à Axel Merry que tu peux soutenir ici et à Irawo que tu peux soutenir en partageant cet article ou les autres qui se trouvent ici.
Mais moi à ta place, je partage cet article forcément. C’est pour la paix dans le monde. ?