Le mot qui résume de manière parfaite l’expérience de notre héroïne du jour est « ténacité ». C’est de sa petite voix cristalline et enjouée que Marlène a bien voulu nous raconter les détails de sa vie entrepreneuriale, allant de son parcours scolaire jusqu’au fameux projet qui retient aujourd’hui toute l’attention du Bénin : Les jardins chez Marlène. Dire que suite à son récit que nous avons été impressionnés serait un euphémisme, tant l’aura de cette histoire fut éblouissante.
Fiche d’identité de Marlène
Nom : GNINTOUNGBE
Prénoms : Mahoutondji Grace-Marlène
Âge : 30 ans
Lieu de naissance : République du Bénin
Nationalité : Béninoise
Fonction : Fondatrice et promotrice de la structure Les jardins chez Marlène
Une perle d’étudiante
Suite à ses études secondaires, Marlène s’inscrit à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM) de Cotonou de laquelle elle sort avec un diplôme de licence en diplomatie et relations internationales. Une fois le précieux sésame obtenu et une large expérience acquise à travers divers stages et bénévolats, l’opportunité lui fut offerte d’effectuer son Master en environnement à l’Université de Lomé.
Il s’agissait d’un programme de la Chaire UNESCO dénommé « Femme science et gestion raisonnée de l’eau en Afrique de l’ouest » . La décision fut vite prise puisque depuis ses années licence, elle se sentait déjà attirée par la cause environnementale. Son mémoire de fin de parcours qui avait d’ailleurs été brillamment soutenu sur le thème de la participation du Bénin aux conférences des parties dans le domaine de l’environnement, lui a valu les encouragements et incitations du jury à se spécialiser dans le domaine.
De la diplomatie à l’agriculture
Master presqu’en poche, voici une nouvelle opportunité qui se présente. Cette fois, elle participera à un programme de volontariat international organisé par Jeunesse Canada Monde sous le thème « Environnement et développement communautaire/ Jeunes leaders en action ».
C’est lors du séjour au Canada que la première graine qui conduira à la naissance des jardins de Marlène fut semée. Ayant eu la possibilité de choisir un projet de travail parmi d’autres, et ne voulant surtout pas se retrouver cloîtrée dans un bureau, Marlène opte pour l’activité dans un jardin permaculture. A son retour au Bénin, elle rédige un projet dans l’intention de reproduire l’expérience agricole vécue au Canada. Le papier dormira un bout de temps dans les tiroirs avant d’être réanimé lorsque Marlène aura le courage d’imposer son rêve à ses proches. Le passage entre les deux périodes ne fut pas aisé.
Après un regain de motivation, elle se rendra au Centre Songhaï, pour mieux apprendre les rouages du métier qu’elle a choisi et surtout se frotter aux réalités concrètes de l’agriculture dans son pays. L’expérience fut une vraie leçon d’humilité dira t-elle: « Il me fallait une bonne dose d’humilité et de patience pour me remettre après mon parcours à un niveau de petite écolière et apprendre pendant 6 mois ce pour quoi j’étais dans ce centre ».
Des femmes inspirantes
Nombreux sont ceux qui s’étonnent de la soudaine réorientation de Marlène. Mais selon ses récits, les choses n’ont pas été aussi brusques qu’on pourrait le croire. Plusieurs événements et personnages ont à travers le temps influencé la décision de cette transition. Le premier déclic est venu de la propriétaire du jardin permaculture canadien où son premier contact avec l’univers agro biologique et écologique se fut effectué. Cette femme a été une belle inspiration pour elle.
Une autre de ses sources de motivation fut la présidente de la Fondation Zinsou avec qui elle a eu à un moment de son parcours l’occasion de travailler. La jeunesse, la dynamicité et l’assurance de cette dernière ont eu un effet plus que positif sur ses ambitions entrepreneuriales. Ce qu’elle s’est dit à cette époque c’est « si elle le peut, pourquoi pas moi? ».
Elle cite enfin avec beaucoup d’insistance et de révérence Mme Wangari Maathai. Professeure et militante écologiste kenyane, fondatrice du Green Belt Movement. Cette femme a consacré son existence à la lutte contre la dégradation de l’environnement. Elle a encouragé au péril de sa vie les populations, et en particulier les femmes, à planter des arbres et a reçu en 2004 le prix Nobel de la paix pour sa contribution en faveur du développement. C’est avec beaucoup de fierté que Marlène évoque l’arbre qu’elle a planté lors de sa visite en 2012 dans la forêt de Karura (Nairobi) en l’honneur de cette illustre dame.
Des défis à relever
Nul doute pour Marlène, ses parents ont toujours mis en place le nécessaire pour que ses soeurs et elle n’aient jamais à se sentir limitées par leur « condition » de filles, ce qui justifie d’ailleurs son parcours scolaire exemplaire. Il arrive néanmoins que parents et enfants soient opposés par la divergence de leurs rêves respectifs, ce fut le cas pour Marlène.
La nouvelle de sa transition de la diplomatie à l’agriculture n’a pas été accueillie avec enthousiasme au sein du clan GNINTOUNGBE. Très vite, elle est considérée comme la jeune rebelle, obstinée à aller outre les conseils de sa famille pour n’en faire qu’à sa petite tête. Les débuts de ce que nous connaissons sous le nom de « Les jardins chez Marlène » ont donc été pour le moins durs. Mais ne nous exhorte t-on pas à collectionner les pierres qui nous sont jetées pour en faire un piédestal ?
C’est bien ce que la jeune dame fit. La solitude et l’incompréhension qui lui firent opposées ont tenu le rôle de carburant dans son moteur. La rage de réussir, de prouver que son idée n’était pas irréalisable, et surtout d’ôter en ses parents ce sentiment d’échec et de désolation, ont été plus que suffisants pour convaincre Marlène à se jeter corps et âme dans la réalisation de son projet.
En dehors des difficultés familiales, l’idée reçue et très répandue selon laquelle l’agriculture bio serait vouée à l’échec en Afrique lui a fortement été opposée. On lui a souvent dit que sans produits chimiques, elle ne pouvait espérer tirer aucun gain de son activité. Dans ces moments, c’est sa capacité à faire fi des critiques non constructives qui lui a été salvatrice.
Marlène, cétait une fille de la ville, « une fille comme il faut » comme dirait Guy Tirolien dans Prière d’un petit enfant nègre. L’un des gros défis du projet était donc pour elle de retourner à la campagne et d’accepter de n’avoir parfois pour seuls compagnons que houes, coupe-coupes et dabas. Mais que ne ferait-on pas par amour passion, hein? Certains jours, pour effectuer des livraisons, il fallait se taper des kilomètres à taxi-moto. Elle se surprenait donc à rire d’elle même; « Je me demandais si je n’étais pas entrain de devenir folle ». Mais il en faut certainement plus que les regards interrogateurs d’un échantillon de cotonouas pour la détourner de son rêve.
Les fruits du labeur
Les jardins chez Marlène est une preuve supplémentaire que la persévérance est reine des vertus. Aujourd’hui, ce terrain de 3 hectares dont le tiers réservé au jardin est situé dans l’arrondissement de Glo-Djibé (commune d’Abomey-Calavi). La structure emploi 4 ouvriers permanents et reçoit par an une vingtaine de stagiaires et bénévoles. On compte une production moyenne mensuelle de 30 paniers bio. Une belle avancée pour ce projet dont les prédictions s’avéraient plutôt sombres.
L’entreprise grandit sans aucun doute, la pression et le stress qu’engendre l’obligation de satisfaire les demandes de la clientèle aussi. Mais Marlène dit être une entrepreneure qui essaie d’avancer avec le minimum de stress possible. Son point de vue est celui-ci: « lorsqu’on aime ce qu’on fait, on a pas besoin de s’inquiéter constamment, on donne le maximum de soi, c’est tout ».
L’engagement social de l’entreprise
Les enjeux sont à présent aussi bien sociaux que financiers. Une grande partie du travail consiste aujourd’hui à sensibiliser la population sur l’importance du « manger bio » et sur les avantages que confèrent une alimentation saine, sans produits chimiques.
Par ailleurs, La promotrice du projet axe de plus en plus sa politique sur l’aide à l’orientation professionnelle. De manière concrète, elle compte à travers son expérience et son parcours atypique briser les préjugés qui entachent le domaine agricole, casser les codes par rapport à la limitation des passerelles entre les différents secteurs professionnels et montrer l’agriculture sous un nouveau jour. Pour elle, les choix professionnels ne doivent pas exclusivement reposer sur l’éducation universitaire; il est aussi question de passion, de vision et de conviction.
Un panel de projet a donc été mis en place. A titre d’exemple, il y a celui du « Fermier d’un jour » qui invite toute personne désireuse de s’essayer au travail de la terre à se rendre à la ferme pour faire l’expérience en une journée. C’est dans un esprit communautaire et une ambiance de partage que les activités réservées aux inscrits se déroulent. L’ambition à moyen et long terme est de fédérer des énergies bénévoles pour aboutir à un centre agro-touristique. L’univers agricole béninois est richement goutu et mérite d’intégrer la politique touristique dans laquelle le pays s’est depuis peu engagé. Voilà l’une des missions que s’est assignée Marlène.
Grace-Marlène Mahoutondji GNINTOUNGBE a aujourd’hui de quoi être fière. Non parce que Les jardins chez Marlène lui procurent un revenu financier suffisant, mais parce qu’au bout du compte, elle peut lire dans le regard de ses parents de la fierté pour ses accomplissements. Elle peut par ailleurs aussi se féliciter d’avoir réussi là où tous lui prédisaient un échec certain.
» Même s’ils ne me l’ont pas encore dit, je sens qu’ils sont fiers de moi, et ça, ça vaut toutes les victoires »
En Novembre 2018, Grace-Marlène s’est lancée dans deux projets qui lui tiennent à cœur. À découvrir dans la vidéo ci-dessous.