« Mon sang est africain, mon esprit appartient à Londres et mon âme à Paris », voici comment se décrit Benjamin Clementine.
A 29 ans, cet anglais d’origine ghanéenne semble à première vue tout droit sorti de l’un des vieux clichés du légendaire Malick Sidibé. La coupe de cheveux perdue quelque part dans les années 80, le visage aux traits géométriquement sculptés et marqués de part et d’autres de pommettes particulièrement prononcées, le personnage est aussi atypique que son œuvre musicale.
Les « années métro » de Benjamin
Il avait 19 ans lorsqu’il a quitté son Angleterre natale en 2009. Destination Paris, sans un sous en poche, sans abri et sans aucune idée de ce qui l’y attendait. Il avait pour seul acquis son talent de multi-instrumentiste que lui avait inspiré auparavant son frère, un passionné de musique. Il se disait aussi poète à ses heures perdues.
Alors même qu’il n’avait jamais eu l’occasion de faire ressortir sa voix, par peur d’offenser des parents qui n’étaient pas pour une carrière artistique, Benjamin Clementine n’a eu d’autre choix que de se mettre au chant pour survivre à son arrivée dans la capitale française.
La découverte presque forcée de cette puissance vocale à la fois brute et théatralement raffinée fut le meilleur cadeau que le jeune homme pouvait offrir au monde et plus particulièrement aux passagers de la ligne 2 dont il a quotidiennement et pendant 4 ans égayé le trajet, armé de sa guitare à moitié cassée et parfois d’un piano tout autant délabré. Il chantait en contrepartie de quelques pièces de monnaie.
Cela pourrait sembler être un triste sort, mais durant ces « années métro », un élément rendait spéciales les prestations de Benjamin. C’est cette passion que l’on ressentait au travers du léger sourire qui venait se dessiner sur son visage au beau milieu des chansons qu’il interprétait.
Même si sa position de chanteur ambulant souvent considérée par certains comme celle d’un mendiant n’était pas enviable, on percevait à travers ses prestations une certaine confiance et une aisance qui semblaient transcrire les réponses qu’il donne aujourd’hui lorsqu’il est questionné sur cette période de sa vie : « Il est vrai que j’ai commencé à jouer dans le métro, mais pour autant, cela ne m’a pas rendu triste car à mon sens, rien n’est impossible et rien ne peut arrêter quelqu’un qui veut vraiment se réaliser ». Il avait raison d’y croire.
Enfin le bout du tunnel
Après les quatre années passées à esquiver les agents de police qui ne comptaient pas le laisser continuer à jouer illégalement dans le métro, et des heures incomptables passées à être le témoin des scènes les plus insolites du trafic souterrain parisien, le jeune homme verra peu à peu le bout du tunnel. Il dira d’ailleurs plus tard que Paris est la ville qui l’a vraiment vu naître, puisque c’est là où la vie lui a souri.
En 2012, les vidéos que certains passagers de la ligne 2 réalisaient de lui atterrirent enfin entre des mains expertes, qui n’ont pas tardé à reconnaître son immense talent d’artiste et à le propulser à la place qu’il mérite, le devant de la scène. Son premier album « At least for now » a été certifié disque d’or et lui a valu de nombreux prix, dont le prestigeux Mercury Prize.
Depuis, le quotidien du chanteur de métro s’est transformé en celui d’un artiste accompli. Désormais adoré par le public et apprécié par les critiques, il représente la preuve que les élus sont les plus éprouvés.
Premier artiste de l’histoire à se produire en live aux défilés de la marque Burberry, interviewé à plusieurs reprises par Le New York Times et The Independent, régulièrement comparé aux légendes Nina Simone et Jimmy Hendrix; Benjamin Clémentine a aujourd’hui l’occasion de diffuser sans aucune limite sa voix et sa poésie enrobées dans des mélodies pour le moins sophistiquées.
Les leçons à tirer du parcours de l’artiste
Considérant son parcours scolaire interrompu à Londres jusqu’à sa fulgurente ascension en passant par la phase « sans abris » à Paris, ce serait un euphémisme que de dire que la vie n’a pas toujours été tendre avec lui. Mais la singularité de son univers a fait de lui un rescapé de la grande masse d’artistes noyés dans les tréfonds des stations de métro parisiens. Il est allé au delà du chant et a créé autour de lui un univers loin d’être commun.
Sa coupe de cheveux, son style vestimentaire qu’on serait parfois tenté de qualifier d’accoutrement, tellement il est décalé de l’époque actuelle, son élocution, le fait qu’il monte souvent sur scène les pieds nus et bien d’autres détails l’élèvent au dessus de la mêlée et renforcent l’intérêt du public pour lui. Disons de manière basique que l’originalité est l’un des moteurs de sa réussite.
Son processus créatif intéresse aussi énormément les journalistes qui ne ratent aucune occasion pour l’ interroger. Il dit que les livres font partie intégrante de son travail de composition. « Ma musique a avancé et évolué au fil de mes lectures, livre par livre, poème par poème et morceau par morceau, j’ai bâti les fondations de cet album » répondra t-il au Brain magazine lors d’une interview précédent la sortie de son premier album. Preuve que le bagage culturel (qu’il soit acquis à travers les livres, les voyages, la musique ou le cinéma) est un atout certain en matière de création artistique.
S’il s’agissait d’une oeuvre théâtrale, la musique de Benjamin Clementine se rapprocherait plus d’une tragédie que d’une comédie. Il a l’habitude de dire qu’il chante très peu de chansons joyeuses. Cela est sûrement dû à l’influence très évidente de son passé sur la composition de ses textes. Son premier EP « Cornerstone » ou certains de ses morceaux, « I won’t complain » et « Condolence » sont tellement imbibés de ce passé qu’on peut clairement toucher du doigt l’expérience de vie de l’artiste rien qu’en les écoutant avec l’attention qu’ils méritent. Il a donc fait de ce douloureux passé une source d’inspiration pour sa carrière.
D’ailleurs, pour lui: « L’exercice du métro ou de la rue est formateur, mais celui-ci t’oblige à pousser le volume au maximum pour interpeller et conserver l’attention des passants ». Les bases du futur se construisent sur les décombres du passé aussi douloureux soit-il. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la formule « Rien ne se perd, rien ne se crée tout se transforme »; s’est une fois encore confirmée.
Ce que le court récit du parcours de cet homme reflète c’est le concentré d’une confiance en soi et d’une capacité à accepter avec humilité et patience la traversée du désert tout en ayant foi en un avenir meilleur.
Retrouvez dans cette playlist Benjamin Clementine à travers quelques unes de ses oeuvres faites de raffinement, d’art à l’état spirituel et d’inspiration.